Theme RimbaudManuscrit Synesthésie / Synesthesia

"... dans un type de synesthésie connu sous le nom de synesthésie « graphèmes-couleurs » (qui représenterait 64,9 % des synesthésies), les lettres de l'alphabet ou nombres peuvent être perçus colorés." ../ARGOPd/wikipedia-16x16 Synesthésie
 
 
Voyelle / Couleur


a

an

e

é

i

o

u
Rimbaud
Noir
Blanc
Rouge
Bleu Vert
Proust
Blanc
Jaune

Noir Pourpre


Hugo
Blanc

Bleu

Blanc
Rouge
Noire
Perec
Noir

Blanc
Roux
Azur Safran
Nabokov Noir

Jaune

Jaune
Blanc
Ivoire
Jaune
Olive








 


Arthur Rimbaud

Rimbaud_manuscrit_Voyelles

                 Voyelles
 
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
 
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
 
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
 
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silence traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -
 
Manuscrit (1872)



Georges Perec
 
VOCALISATIONS
 
A noir (Un blanc), I roux, U safran, 0 azur :
Nous saurons au jour dit ta vocalisation :
A, noir carcan poilu d'un scintillant morpion
Qui bombinait autour d'un nidoral impur,
 
Caps obscurs ; qui, cristal du brouillard ou du Khan,
Harpons du fjord hautain, Rois Blancs, frissons d'anis?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu'un lis
Dans un courroux ou dans un alcool mortifiant ;
 
U, scintillations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d'animaux, paix du fin
Sillon qu'un fol savoir aux grands fronts imprima ;
 
O, finitif clairon aux accords d'aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvâna :
0 l'omicron, rayon violin dans son Voir !
 
  La disparition p125 Ed L'imaginaire Gallimard (1969)

 
Marcel Proust
 
"Swann... Malgré tout je voulus chercher un nom d’apparence qui pût être anglo-saxonne et donner à mon oreille la sensation de blanc de l’a précédé d’une consonne et suivi d’une autre (je vous dis tout cela confidentiellement bien qu’il n’y ait aucun secret, mais parce que après plusieurs années écoulées, je peux me tromper sur la chimie assez particulière qui se passe dans notre cerveau quand nous fabriquons un nom). Les deux nn étaient destinés à compenser les deux a, à éviter l’idée de cygne liée à Mme de Guermantes."
  Lettre à Harry Swann (1920)
  La formation des noms de personnages dans la genèse de À la recherche du temps perdu
 
"... Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe ; Vitré dont l'accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien ; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune coquille d'œuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre ; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche suivi de la mouche ; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux fluviatiles et poétiques ; Benodet, nom à peine amarré que semble vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues ; Pont-Aven, envolée blanche et rose de l'aile d'une coiffe légère qui se reflète en tremblant dans une eau verdie de canal ; Quimperlé, lui, mieux attaché et, depuis le moyen âge, entre les ruisseaux dont il gazouille et s'emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d'araignées d'une verrière, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d'argent bruni."
  À la recherche du temps perdu  Du côté de chez Swann Troisième partie Noms de pays : le nom

"La couleur de Sylvie, c’est une couleur pourpre, d’une rose pourpre en velours pourpre ou violacé, et nullement les tons aquarellés de leur France modérée. À tout moment ce rappel de rouge revient, tirs, foulards rouges, etc. Et ce nom lui-même pourpré de ses deux I – Sylvie, la vraie Fille du Feu."
  Contre Sainte-Beuve
 
 
Victor Hugo
 
"Ne penserait-on pas que les voyelles existent pour le regard presque autant que pour l'oreille et qu'elles peignent des couleurs ? On le voit. A et I sont des voyelles blanches et brillantes. O est une voyelle rouge. E et EU sont des voyelles bleues. U est la voyelle noire.
Il est remarquable que presque tous les mots qui expriment l'idée de lumière contiennent des A et des I et quelquefois les deux lettres. ...
Feu n'exprime nécessairement l'idée d'éclat que dès qu'il s'allume. Alors il devient flamme [sic].
Aucune de ces deux voyelles ne se trouve dans la lune qui ne brille que dans les ténèbres. Le nuage est blanc, la nuée est sombre. On voit le soleil à travers le brouillard ; on ne le voit pas à travers la brume.
Les mots où se trouvent mêlées l'idée d'obscurité et l'idée de lumière contiennent en général l'U et l'I. Ainsi Sirius, nuage, nuit. La nuit a les étoiles.
Il ne serait pas impossible que ces deux lettres, par cette puissance mystérieuse qui est donnée aux lignes, entrassent pour quelque chose dans l'effet lumineux que produisent certains mots qui pourtant n'appartiennent pas à l'ordre physique [des exemples suivent].
  Note sur la couleur des voyelles (1836-1838)
 

Maurice Merleau-Ponty

"Les sens communiquent entre eux en s’ouvrant à la structure de la chose. On voit la rigidité et la fragilité du verre et, quand il se brise avec un son cristallin, ce son est porté par le verre visible. (...) De la même manière, j’entends la dureté et l’inégalité des pavés dans le bruit d’une voiture et l’on parle avec raison d’un bruit « mou », « terne » ou « sec »."
  La Phénoménologie de la perception (1945) p.265  cité par Laurent Jenny


Richard Feynman

"I often think about that, especially when I'm teaching some esoteric technique such as integrating Bessel functions. When I see equations, I see the letters in colors — I don't know why. As I'm talking, I see vague pictures of Bessel functions from Jahnke and Emde's book, with lighttan j's, slightly violet-bluish n's, and dark brown x's flying around. And I wonder what the hell it must look like to the students"
  What Do You Care What Other People Think? (1988)

"Quand je vois des équations, je vois des lettres en couleurs – je ne sais pas pourquoi. Quand je pense aux fonctions de Bessel par exemple, je vois un J brun-roux, un N d’un bleu légèrement violacé et un X marron sombre qui vole autour. Et je me demande vraiment ce que voient les étudiants."
  Qu’est-ce que ça peut vous faire ce que les autres pensent? (1988)
synesthesie-creativite


Vladimir Nabokov

 "...I present a fine case of colored hearing. Perhaps “hearing” is not quite accurate, since the color sensations seem to be produced by the very act of my orally forming a given letter while I imagine its outline. The long a of the English alphabet (and it is this alphabet I have in mind farther on unless otherwise stated) has for me the tint of weathered wood, but the French a evokes polished ebony. This black group also includes hard g (vulcanized rubber) and r (a sooty rag being ripped). Oatmeal n, noodle-limp l, and the ivory-backed hand mirror of o take care of the whites. I am puzzled by my French on which I see as the brimming tension-surface of alcohol in a small glass. Passing on to the blue group, there is steely x, thundercloud z, and hucklberry k. Since a subtle interaction exists between sound and shape, I see q as browner than k, while s is not the light blue of c, but a curious mixture of azure and mother-of-pearl. Adjacent tints do not merge, and dipthongs do not have special colors unless represented by a single character in some other language (thus the fluffy-gray, three-stemmed Russian letter that stands for sh, a letter as old as the rushes of the Nile, influences its English representation).

I hasten to complete this list before I am interrupted. In the green group, there are alder-leaf f, the unripe apple of p, and pistachio t. Dull green, combined somehow with violet, is the best I can do for w. The yellows comprise various e’s and i’s, creamy d, bright-golden y, and u, whose alphabetical value I can express only by “brassy with an olive sheen.” In the brown group, there are the rich rubbery tone of soft g, paler j, and the drab shoelace of h. Finally, among the reds, b has the tone called burnt sienna by painters, m is a fold of pink flannel, and today I have at last perfectly matched v with “Rose Quartz” in Maerz and Paul’s Dictionary of Color. The word for rainbow, a primary, but decidedly muddy, rainbow is in my private language  the hardly pronouncable: kzspygv. The first author to discuss audition coloreé was, as far as I know, an albino physician in 1812, in Erlangen.

The confessions of a synesthete must sound tedious and pretentious to those who are protected from such leakings and drafts by more solid walls than mine are. To my mother, though, this all seemed quite normal. The matter came up, one day in my seventh year, as I was using a head of old alphabet blcks to build a tower. I casually remarked to her that the colors were all wrong. We discovered that some of her letters had the same tint as mine, and that, besides, she was optically affected by musical notes. These evoked no chromatisms in me whatsoever. Music, I regret to say, affects me merely as an arbitrary succession of more ore less irritating sounds. Under certain circumstances I can stand the spasms of a rich violin, but the concern piano and wind instruments bore me in small doses and flay me in large ones.”
  Speak, Memory (1951, revised edition 1967) cité dans Fury Factory Blog


"La lettre A longue de notre alphabet anglais évoque pour moi la teinte d’un bois érodé par le temps (weathered) alors que le A français évoque de l’ébène ciré (polished)"

"La sensation de couleur paraît être déterminée, chez moi, par l'acte même de former avec la bouche une lettre donnée tout en m'en représentant le tracé écrit. Le a de l'alphabet anglais […] a pour moi la nuance du bois sec, mais un a français évoque l'ébène poli. Ce groupe noir comprend aussi g dur (caoutchouc vulcanisé) et r (un chiffon noir de suie qu'on déchire). N bouillie d'avoine, l nouille molle, et le miroir à main au dos d'ivoire de o, voilà pour les blancs. […] Si l'on passe maintenant au groupe des bleus, il y a x couleur d'acier, l'horizon indigo sombre de z, et le k myrtille.
Du fait qu'il existe une subtile interaction entre le son et la forme, je vois q comme plus brun que k, cependant que s n'est pas le bleu clair de c, mais un curieux mélange d'azure et de nacre. […] Dans le groupe vert, il y a f feuille d'aulne, la pomme sure de p, et t pistache. […] Les jaunes comprennent différents e et i, d crémeux, y jaune d'or éclatant, et u dont je ne peux exprimer la valeur alphabétique que par “le ton cuivre jaune avec un reflet olive”. Dans le groupe marron, il y a le riche ton caoutchouc de g doux, j plus pâle, et le lacet de soulier terni de h. Enfin, parmi les rouges, b est de la nuance que les peintres nomment terre de Sienne brûlée, m est un pli de flanelle rose, et aujourd'hui j'ai enfin parfaitement apparié v au “rubis de Bohème”. […] Le mot désignant l'arc-en-ciel, un arc-en-ciel primaire mais assez terne, est, dans mon langage à moi, le malaisément prononçable kzspygv."
  Vladimir Nabokov Autres rivages Autobiographie
  Cité dans Cerveau & Psycho L'arc-en-ciel de Nabokov


Théophile Gautier
Le hachisch
1843

"Mon ouïe s’était prodigieusement développée : j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé bas, vibraient et retentissaient en moi comme des roulements de tonnerre ; ma propre voix me semblait si forte que je n’osais parler, de peur de renverser les murailles ou de me faire éclater comme une bombe. Plus de cinq cents pendules me chantaient l’heure de leurs voix flûtées, cuivrées, argentines. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne. Je nageais dans un océan de sonorité où flottaient, comme des îlots de lumière, quelques motifs de « Lucia » et du « Barbier »."


Cratyle
 
- Platon Cratyle (≈-385)
- Roland Barthes Nouveaux essais critiques (1953)
- Claude Hagège L'Homme de paroles Gallimard (1987)
- Gérard Genette ../ARGOPd/wikipedia-16x16 Mimologiques: Voyage en Cratylie (1976)
- Cratylisme ../ARGOPd/wikipedia-16x16fr    Cratylism ../ARGOPd/wikipedia-16x16en
 
 
Liens
 
- Synesthésie  ../ARGOPd/wikipedia-16x16fr   Synesthesia ../ARGOPd/wikipedia-16x16en
- Thierry Gonze Synesthésie : les Couleurs des Mots  Synesthésies : les Couleurs des Choses
- Claude Lévi-Strauss Regarder Ecouter Lire
- James Tittle & IOhannes M Zmölnig   Synaesthesia & Pd   pdf Pd & Synaesthesia 
 
 
 
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