457 descriptions de paysage sonore trouvées dans la littérature.
Mythe d'Atrahasis
cité dans:
Bruit et émotion dans la littérature akkadienne de Anne-Caroline Rendu Loisel
1600 av. J.-C.
"Il ne s’était pas encore écoulé 1200 ans, que le pays augmenta, et le
peuple devint nombreux. Comme un boeuf, le pays mugissait. Par leur
vacarme, le dieu fut troublé. Enlil, ayant entendu leur tapage, déclara
aux grands dieux : « le tapage de l’humanité est devenu trop pesant
pour moi. Par leur vacarme, je suis privé de sommeil... qu’il y ait une
peste. » "
Épopée de Gilgamesh - Tablette V
1200 av. J.-C.
"À travers toute la forêt, un oiseau commence à chanter :
... se répondent les uns aux autres, le bruit était un vacarme incessant,
Un grillon solitaire entame un chœur bruyant,
... chantent une chanson, faisant la ... flute fort.
Une palombe gazouille, une tourterelle lui répond.
À l'appel de la cigogne, la forêt jubile,
Au cri du francolin, la forêt jubile pleinement.
Les mères singes chantent à haute voix, un jeune singe crie :
Tel un orchestre de musiciens et de percussionnistes,
Chaque jour ils font retentir cette symphonie devant Humbaba."
Homère
L'Iliade - Traduction (1955) de Robert Flacelière
8e siècle av. J.-C.
"L'armée avance à la façon d'un incendie qui se déchaînerait dans toute
la contrée. Et la terre gémit, comme autrefois sous le courroux de Zeus
Tonnant, quand la foudre cingla le sol près de Typhée, au pays des
Arimes, où se trouve, dit-on, le gîte de ce monstre. Ainsi gémit la
terre à grand bruit sous leurs pas, tandis qu'en marchant vite ils
traversent la plaine."
"Quand la houle marine en flots pressés déferle au souffle du Zéphyr
sur la grève sonore, les vagues tout d'abord se soulèvent au large,
puis viennent se briser sur la terre à grand bruit ; on les voit se
gonfler autour des promontoires, dresser haut dans les airs leur crête,
puis cracher l'écume de la mer : de même, en flots pressés, les
bataillons argiens marchant vers le combat s'ébranlent sans répit.
Chaque chef exhortant sa troupe, les soldats avancent en silence. On ne
croirait jamais que cheminent ensemble un si grand nombre d'hommes,
dont chacun, dans sa gorge, est doué d'une voix. Ils vont, silencieux,
par crainte de leurs chefs.
...
Les Troyens font penser, en revanche, aux brebis qui, très nombreuses,
dans l'enclos d'un homme riche, quand on trait leur lait blanc,
poussent, en écoutant l'appel de leurs agneaux, des bêlements sans fin
: pareille est la clameur qui monte de l'armée immense des Troyens.
Tous n'ont pas même accent ni semblable parler ; leurs langues sont
diverses : ce sont des gens venus de pays si nombreux !"
"Comme monte, dans les vallons d'une montagne, le bruit des bûcherons,
que l'on entend de loin : tel monte, de la terre immense, le fracas que
font les combattants avec l'airain, le cuir et les peaux travaillées,
sous le choc des épieux, des piques à deux pointes. Même un homme avisé
ne reconnaîtrait plus le divin Sarpédon, car, de la tête aux pieds, il
est couvert de plaies, de sang et de poussière. Et sans relâche autour
du cadavre ils se pressent, comme, aux jours du printemps, les mouches
qui bourdonnent, dans une étable, autour des vases pleins de lait :
ainsi les combattants autour du corps se pressent."
"Alors à grand fracas l'un sur l'autre ils se ruent. La terre immense
gronde. Le ciel vaste à l'entour claironne la bataille. Zeus, assis sur
l'Olympe, entend, et son coeur rit, joyeux de voir les dieux entrer
dans la mêlée."
La Bible
Ésaïe 13 - Nouvelle Edition de Genève (1979)
8e .. 7e siècle av. J.-C.
"On entend une rumeur sur les montagnes,
Comme celle d’un peuple nombreux ;
On entend un tumulte de royaumes, de nations rassemblées :
L’Eternel des armées passe en revue l’armée qui va combattre."
La Bible
Jérémie 47 - Traduction du Rabbinat
650 av. J.-C.
"Voici que des flots s'avancent du Nord et deviennent un torrent
impétueux, submergeant la terre et ce qu'elle renferme, les villes et
ceux qui y demeurent. Les hommes poussent des cris et tous les
habitants du pays se lamentent.
Au trot bruyant des sabots des fiers coursiers, au roulement des chars,
au fracas de leurs roues, les pères n'ont plus de regard pour leurs
enfants, tant ils sont abattus..."
La Bible
6e siècle av. J.-C.
Ezéchiel 1 - Traduction du Rabbinat
"Et j'entendais le bruit de leurs ailes, pareil, quand ils
s'avançaient, au murmure d'eaux puissantes, à la voix du Tout-Puissant
; un bruit tumultueux comme celui d'un campement : quand ils
s'arrêtaient, leurs ailes pendaient immobiles.
Puis, il y eut une voix au-dessus du firmament qui dominait leur tête..."
Ezéchiel 3 - Traduction du Rabbinat
"Et l'esprit m'emporta et j'entendis derrière moi le bruit d'un grand
tumulte: "Bénie soit la gloire de l'Eternel en son lieu !"
Et le bruit des ailes des Haïot qui se joignaient l'une l'autre et le
bruit des roues vis-à-vis d'elles et le bruit d'un grand tumulte."
La Bible
Bible de Jerusalem (1956) - Livre des Psaumes - Psaume 93460 av. J.-C.
"Les fleuves déchaînent, ô Yahvé, les fleuves déchaînent leur voix,
les fleuves déchaînent leur fracas ; plus que la voix des eaux
innombrables, plus superbe que le ressac de la mer ; superbe est Yahvé
dans les hauteurs.
Platon
La République - Traduction (1934) de Émile Chambry
387 .. 370 av. J.-C.
"Et les hennissements des chevaux, les mugissements des taureaux, le
murmure des rivières, le fracas de la mer, le tonnerre et tous les
bruits du même genre, imiteront-ils tout cela ?"
"... il imitera même ce dont nous parlions tout à l’heure, le bruit du
tonnerre, des vents, de la grêle, des essieux, des poulies, des
trompettes, des flûtes, des chalumeaux et le son de tous les
instruments, et en outre la voix des chiens, des moutons, des oiseaux.
Tout son discours ne sera qu’imitation de voix et de gestes ; à peine y
entrera-t-il quelque portion de récit."
La Bible
Bible de Jerusalem (1956) -
Livre de la Sagesse
1er siècle av. J.-C.
"... Le vent qui siffle, le chant mélodieux des oiseaux dans les
rameaux touffus, le bruit cadencé d'une eau coulant avec violence, le
rude fracas des pierres dégringolant, la course invisible d'animaux
bondissants, le rugissement des bêtes les plus sauvages, l'écho se
répercutant au creux des montagnes, tout les terrorisait et les
paralysait."
VirgileLes Géorgiques - Traduction (1859) de Jean-Pierre Charpentier
30 av. J.-C.
"Les vents sont-ils prêts à se lever ? aussitôt la mer s’agite et
commence à enfler ses vagues : sur le sommet des montagnes un bruit sec
éclate, les rivages retentissent au loin d’un sourd mugissement, et le
murmure des forêts ne cesse de s’accroître."
"Alors aussi et la terre et la mer, et les hurlements des chiens, et
les cris sinistres des oiseaux annoncèrent nos malheurs. Combien de
fois nous vîmes l’Etna, brisant ses voûtes profondes, inonder les
campagnes des Cyclopes, et rouler des tourbillons de flammes et des
rochers liquéfiés ! La Germanie entendit de toutes parts retentir dans
les airs le bruit des armes. Les Alpes ressentirent des secousses
jusque-là inconnues ; dans les bois sacrés, au milieu du silence de la
nuit, on entendit des voix lamentables. Des fantômes d’une effrayante
pâleur se montrèrent à l’entrée de la nuit, et, pour comble d’horreur,
les animaux parlèrent !"
"... accoutume le cheval à la vue des armes et des combats, au bruit de
la trompette, au roulement des roues qui crient sur le sable, et au
cliquetis des freins."
Virgile
L'Énéide
- Traduction (1825) de Jean-Nicolas-Marie Deguerle
19 av. J.-C.
"Sous leurs voûtes minées par les feux des Cyclopes, d’immenses
cavernes et des antres sans fond tonnent sans cesse à l’instar de
l’Etna ; sans cesse, aux coups pesants des marteaux, on entend gémir
les enclumes ; le fer ardent étincelle sous le fer qui le dompte, et la
flamme rugit en fureur dans ses brasiers."
"Un cri s’élève des remparts, et se prolonge au loin à l’entour des
murailles. Soudain, les arcs meurtriers sont tendus, et les dards
sifflent dans les airs : la plaine est jonchée de traits : l’airain des
boucliers et les casques sonores retentissent de mille coups : la mort
vole dans tous les rangs. Telle, vomie du couchant par les humides
Chevreaux, une pluie orageuse bat la terre inondée : telles, condensées
en grêle épaisse, les nues se précipitent sur les mers, quand, escorté
des noirs autans, Jupiter en courroux déchaîne la tempête, et tonne
dans les cieux au sein de la nuit profonde."
"Telles des légions d’oiseaux remplissent de leurs voix confuses le
bois profond qui les rassemble ; tels, attroupés sur les rives du
Pô,
des cygnes au chant rauque font retentir les bords poissonneux du
fleuve et ses bruyants marais."
"Tout à coup les vents ont apporté jusqu’à lui les cris tumultueux
d’une aveugle terreur : il écoute ; et son oreille attentive frémit au
bruit confus, au lugubre murmure de la ville en alarmes. « Dieux !
qu’entends-je ? Pourquoi ce trouble affreux dans la triste Laurente ?
Quelles horribles clameurs s’en élèvent de toutes parts ? »"
Ovide ( 43 av. J.-C. .. 18 ap. J.-C.)
Métamorphoses - Traduction (1806) de G.T. Villenave
"L'air retentit des cris des matelots, du bruit sifflant des cordages,
du choc des flots contre les flots, des éclats de la foudre qu'allument
les vents."
"Tel que les sifflements de l'Eurus dans une forêt de pins, ou tel que
le bruit sourd des flots de la mer, entendu dans le lointain ; tel est
le murmure qui s'élève dans l'assemblée du peuple romain."
"Jamais le chant du coq n'y appelle l'aurore. Jamais le silence n'y est
troublé par la voix des chiens vigilants, par celle de l'oiseau qui,
plus fidèle encore, sauva le Capitole. On n'y entend jamais le lion
rugissant, l'agneau bêlant, ni l'aquilon sifflant dans le feuillage, ni
l'homme et ses clameurs. Le repos muet habite ce désert. Seulement du
fond de la caverne obscure, sort un ruisseau, image du Léthé, qui, sur
les cailloux roulant une onde paresseuse, par son doux murmure appelle
le sommeil."
"Ses murs sont un airain sonore qui frémit au moindre son, le répète et
le répète encore. Le repos est banni de ce palais ; on n'y connaît
point le silence. Ce ne sont point cependant des cris, mais les
murmures confus de plusieurs voix légères, pareils aux frémissements
lointains de la mer mugissante ; pareils au roulement sourd qui, dans
les noires nuées de la tempête, lorsque Jupiter les agite et les
presse, prolonge les derniers éclats de la foudre mourante. Une foule
empressée sans cesse assiège ces portiques, sans cesse va, revient,
semant mille rumeurs, amas confus de confuses paroles, mélange obscur
du mensonge et de la vérité."
Vālmīki
Le
Râmâyana - Traduction (1903) de Alfred Roussel Vol I Vol
II Vol III
3e siècle av. J.-C. .. 3e siècle ap. J.-C.
"Le choc de ses eaux ressemblait à un bruyant éclat de rire ; leur
écume était comme un limpide sourire ; tantôt elles coulaient pareilles
à des tresses, tantôt elles brillaient en tourbillonnant.
Ici elles glissaient paisibles sur un lit profond ; là, elles étaient
tumultueuses ; elles faisaient entendre tantôt un bruit sourd, tantôt
d'horribles clameurs !"
"Eh quoi ! l'on n'entend plus comme autrefois, dans Ayodhyâ, le
bruit
sonore, éclatant, des chants et des instruments de musique !
...
Le bruit des véhicules de prix, les hennissements des chevaux luisants
d'embonpoint, le barrit des éléphants ivres de Mada, le roulement
formidable des chars, on n'entend plus rien, maintenant dans cette
ville, depuis que Râma est exilé !"
"... au milieu des cascades dont le bruit les affole, les Indras des
éléphants mêlent leur barrit amoureux au cri des paons."
"Mêlé au bruit des roseaux en guise d'instruments de musique, lorsque
point l'aurore, et grossi par le vent, le mugissement sonore des
cavernes et celui des taureaux semblent se compléter l'un l'autre."
Sénèque
Lettres A Lucilius
Lettre 56 - Bruits divers d'un bain public - Traduction (1861) de Joseph Baillard
64 ap. J.-C.
"Voici mille cris divers qui de toute part retentissent autour de moi :
j'habite juste au-dessus d'un bain. Imagine tout ce que le gosier
humain peut produire de sons antipathiques à l'oreille : quand des
forts du gymnase s'escriment et battent l'air de leurs bras chargés de
plomb, qu'ils soient ou qu'ils feignent d'être à bout de forces, je les
entends geindre ; et chaque fois que leur souffle longtemps retenu
s'échappe, c'est une respiration sifflante et saccadée, du mode le plus
aigu. Quand le hasard m'envoie un de ces garçons maladroits qui se
bornent à frictionner, vaille que vaille, les petites gens, j'entends
claquer une lourde main sur des épaules ; et selon que le creux ou le
plat a porté, le son est différent. Mais qu'un joueur de paume
survienne et se mette à compter les points, c'en est fait. Ajoutes-y un
querelleur, un filou pris sur le fait, un chanteur qui trouve que dans
le bain sa voix a plus de charme, puis encore ceux qui font rejaillir
avec fracas l'eau du bassin où ils s'élancent. Outre ces gens dont les
éclats de voix, à défaut d'autre mérite, sont du moins naturels,
figure-toi l'épileur qui, pour mieux provoquer l'attention, pousse par
intervalles son glapissement grêle, sans jamais se taire que quand il
épile des aisselles et fait crier un patient à sa place. Puis les
intonations diverses du pâtissier, du charcutier, du confiseur, de tous
les brocanteurs de tavernes, ayant chacun certaine modulation toute
spéciale pour annoncer leur marchandise.
...
Parmi les bruits qui retentissent autour de moi sans me distraire, je
mets celui des chariots qui passent, du forgeron logé sous mon toit, du
serrurier voisin, ou de cet autre qui, près de la Meta sudans, essaye
ses trompettes et ses flûtes, et beugle plutôt qu'il ne joue."
La Bible
Bible de Jerusalem (1956) - Apocalypse de Jean
1er siècle
Apocalypse 14
"Et j'entendis un bruit venant du ciel, comme le mugissement des
grandes eaux ou le grondement d'un orage violent, et ce bruit me
faisait songer à des joueurs de harpe touchant de leurs instruments ;
ils chantent un cantique nouveau devant le trône et devant les quatre Vivants et les Vieillards."
Apocalypse 19
"Alors j'entendis comme le bruit d'une foule immense, comme le
mugissement des grandes eaux, comme le grondement de violents tonnerres
; on clamait : "Alleluia ! Car il a pris possession de son règne, le
Seigneur, le Dieu Maître-de-tout."
Augustin d'Hippone (Saint Augustin) (354..430)
S. Aurelii Augustini opera omnia
Discours sur le psaume XLI - Traduction (1864) de l’abbé Raulx
"Cette fête éternelle et sans fin a, pour les oreilles du coeur, je ne
sais quoi de sonore et de ravissant, si toutefois cela n’est couvert
par le bruit du monde. Pour celui qui marche dans ce tabernacle, et qui
médite sur les merveilles de Dieu pour la rédemption des fidèles, il y
a dans le concert de cette fête, un charme d’oreille qui l’entraîne
comme le cerf aux sources d’eau vive."
De l'ordre - Traduction (1864) de l’abbé Raulx387
"... Donc je veillais, ai-je dit, et voilà que le son de l'eau qui
coulait près des bains captiva mon oreille, et je le remarquai plus
attentivement que de coutume. Je trouvais tout à fait étrange que la
même eau heurtant les mêmes cailloux, rendît un son tantôt plus doux et
tantôt plus éclatant. Je commençai à m'en demander la cause, et rien,
je l'avoue , ne se présentait. Mais Licentius frappant de son lit la
boiserie voisine, effraya des souris qui l'importunaient ; je sus ainsi
qu'il était éveillé. Licentius, lui dis-je, as-tu remarqué, car je vois
que ta muse t'a allumé un flambeau pour travailler, le son inégal de
cette eau ? Oui, dit-il, cela n'est point nouveau pour moi. Une nuit,
en m'éveillant, le désir du beau temps me faisait prêter l'oreille,
j'écoutais si la pluie tombait, et cette eau murmurait comme à présent
..."
Sidoine Apollinaire (430..486)
Lettres - Traduction (1836) (avec le latin d'origine) de Jean-François Grégoire et François-Zénon Collombet
"Qu'il est doux ici d'entendre, vers le midi, le bruit des cigales ;
sur le soir, le coassement des grenouilles ; dans le plus profond
silence de la nuit, le chant des cygnes, des oies et des coqs, puis les
cris des corbeaux, saluant trois fois le flambeau pompeux de la
naissante aurore, et, au point du jour, la voix de Philomèle cachée
sous le feuillage, les gazouillements de Progné sur les branches
touffues ! A ce concert viennent se mêler encore les sons rustiques de
la flûte à sept trous, avec laquelle les vigilants Tityres de nos
montagnes se disputent le prix du chant durant la nuit, au milieu des
troupeaux qui font retentir leurs sonnettes en beuglant dans la prairie
; ces voix, ces sons divers, favoriseront encore plus ton sommeil."
Lettres - Traduction (1970) de André Loyen
"Quel plaisir pour les oreilles que d'entendre de ce lieu résonner à
midi le chant des cigales, au crépuscule le coassement des grenouilles,
au début de la nuit le cri des cygnes et des oies, dans la nuit encore
profonde les accords des coqs, le croassement trois fois répété des
corbeaux prophétiques saluant, à son lever, la torche pourpre de
l'Aurore, au point du jour enfin les roulades de Philomèle dans les
buissons et le gazouillis de Procné sur les charpentes ! Encore
pourras-tu ajouter à ce concert la muse pastorale de la flûte à sept
trous que tourmentent souvent, dans les contours nocturnes, les Tityres
de nos montagnes oublieux du sommeil, au milieu de leurs troupeaux
porteurs de cloches, dont les mugissements se répondent à travers les
pacages où ils paissent. Et pourtant, ces harmonies variées des voix et
des instruments se mettront à ton service pour te faire goûter un
sommeil plus profond."
Venance Fortunat (530..609)
Poèmes - Traduction (1887) de Charles Nisard
"L’abeille, pour construire ses rayons, quitte sa ruche, va bourdonner
autour des fleurs auxquelles elle dérobe leurs sucs pour en charger ses
cuisses. L’oiseau reprend sa chanson que, rendu paresseux et muet par
le froid de l’hiver, il avait interrompue. Philomèle prélude à ses
roulades sonores, et l’écho qui les répercute en est ravi. La beauté du
monde renaissant atteste que tous les biens qu’il avait perdus lui sont
revenus avec son divin maître.
...
Les feuilles des arbres de la forêt, les épis dont les guérets sont
chargés t’applaudissent par leurs frémissements, et dans le silence
même où ils se développent les rejets de la vigne te rendent des
actions de grâce. Si les halliers retentissent en ton honneur du ramage
des oiseaux, moi, humble passereau, je mêle à leurs concerts mon chant
d’amour."
Grégoire le Grand
Dialogues - Traduction (1979) de Paul Antin
cité dans:
Le silencement du monde Paysages sonores au haut Moyen Âge et nouvelle culture aurale de Nira Pancer
594
"Ainsi, au cours d'une nuit paisible où l’évêque Datius repose
tranquillement, le diable fait entendre des cris prolongés et de
bruyantes clameurs : le rugissement du lion, le bêlement de la brebis,
le braiment de l’âne, le sifflement du serpent, le grognement du
pourceau ou le cri perçant de la souris. L’évêque, réveillé par le
bruit, au lieu de trembler de peur, crie plein de colère : « Voilà que
ton orgueil t'a rendu semblable aux souris et aux pourceaux ! Toi qui
as refusé si indignement d'imiter Dieu, te voilà digne d'imiter les
bêtes ! »"
Li Qi (690-751)
“Écoutant Dong jouer de la flûte jia des Hu...” - Traduction (1997) de Maurice Coyaud
cité dans:
De vent et d’eau. Quelques paysages à écouter dans la littérature chinoise de Hervé Brunon
"Les ondes du cours d’eau se calment
Les oiseaux cessent leurs chants ...
Un air triste et calme soudain se mue en tempête
Longtemps le vent souffle sur les bois, la pluie arrose les tuiles
La fontaine tombe avec fracas, vole sur la cime des arbres
Les cerfs farouches se lamentent, errant au pied du temple.”
Jiaoran (730..799)
Le son de la cloche - Traduction de Jean-Pierre Diény
cité dans:
De vent et d’eau. Quelques paysages à écouter dans la littérature chinoise de Hervé Brunon
“Il est un temple ancien
sur la montagne froide,
Dont la cloche lointaine
exhale un souffle pur.
Un écho de sa voix
émeut l’arbre lunaire,
Le son expire enfin
dans le Vide glacé.
Pour un maître de Chan,
c’est l’éternelle nuit,
Qui comble de fraîcheur
tout l’espace et son cœur.”
Ouyang Xiu (1007-1072)
Oiseaux chanteurs
cité dans:
De vent et d’eau. Quelques paysages à écouter dans la littérature chinoise de Hervé Brunon
“Sur les fleurs lointaines et les feuilles obscures rayonne le soleil du matin ;
Dans sa tiédeur, toutes espèces d’oiseaux pépient et chantent.
Leur langue, comment la comprendrais-je ?
Mais j’aime leur ramage aux mélodies plaisantes.
À la fenêtre sud, sous le feu des étoiles, quel merveilleux printemps !
Un merle avant l’aube exhorte le jour à la lumière.
Le loriot aux couleurs si charmantes
Babille de la pointe de sa langue, pareil à un poupon.
Dans les bambouseraies de noirs bruants gazouillent,
En des lieux profonds, invisibles, on n’entend que leur voix.
Sur les rizières en terrasse, lointaines, vastes et en eau,
Des huppes chantent et invitent aux labours du printemps.
Pourquoi dit-on les tourterelles gauches et inutiles ?
Le mâle et la femelle savent l’un le ciel noir et l’autre le temps clair.
Comme pluie qui crépite, le chant des bambusicoles
Dans les herbes hautes et les mousses vertes que personne ne foule.
Seul parmi les fleurs un pélican me conseille
D’acheter de l’alcool et de tanguer sous les pétales.
Cent autres espèces encore jacassent,
En ces contrées étranges aux mœurs si différentes, leur nom m’est inconnu.”
Marbode de Rennes (1040..1123)
Méditation - Traduction (1873) de Sigismond ROPARTZ
"Prés toujours verdoyants, silencieux bosquet,
Doux zéphir, tour-à-tour babillard ou discret,
Ruisselet enchanteur, qui chante et qui murmure
Dans son lit tout rempli de fleurs et de verdure,
Tout cela qui respire et qui peint le bonheur,
Tout me rend à moi-même et me refait le cœur.
Qui pourrait vivre en soi, patient et tranquille
Au milieu du tumulte enivrant de la ville ?
Entraîné hors de soi, qui ne remplirait pas
Le vain écho du bruit de ses propres ébats ?"
Guillaume de Tudèle et Anonyme
La Chanson de la croisade contre les Albigeois - Traduction (1875) de Paul Meyer
1219
"Mais le cri et la noise et le frémissement des enseignes, et
l’agitation de l’air font trembler les rameaux. Tel est le bruit des
cors et des trompes que la terre en retentit et que tout le ciel en
frémit."
"Le craquement des lances et le froissement des clavains produisent un
bruit semblable à la tempête, ou à des marteaux frappant sur l’enclume."
"Et on entendait crier : Toulouse ! Montfort ! Craon ! et trompes et
grêles font retentir le ciel, lances, dards, piques, masses, brandons,
guizarmes, pierres, haches, javelots, flèches, carreaux, massues
pleuvent de toutes parts, de sorte que les hauberts, les heaumes, les
écus, les arçons, les insignes admirables, les bordures, les boutons,
les chevaux, les tresses, l’or, le ciclaton, étaient rouges de sang.
Tels furent la noise, le bruit, le tumulte, que beaucoup de ceux de la
ville rentrèrent à la dérobée, ..."
La
Riote du monde (Le Tumulte du monde) - Traduction de Jean-Marie Fritz
13e siècle
"Concile de pape
Parlement de roi
Accord de mariage
Assemblée de chevaliers
Compagnies de clercs
Beuverie de bourgeois
Foule de vilains
Cohue de garçons
Caquetages de femmes
Aboiements de chiens
Gloussements de poules
Sonneries de cloches
Martèlements de forgerons
Cris de moulins
Bêlements de brebis
Braiements d’ânes
Ecoulements d’eau dans les gouttières
Renversements de charrettes
Coups de massues
Coups de bâtons
Crépitements de braises
Miaulements de chats
Hurlements de loups
Pépiements d’oiseaux
Coups de tonnerre
..."
Gautier d'Épinal (?..1272)
cité dans:
La Cloche et la lyre. Pour une poétique médiévale du paysage sonore de Jean-Marie Fritz
"Le commencement de la douce et belle saison
dont je vois le retour,
le souvenir d’amour qui me rappelle
celle que je ne veux quitter
Et la grive qui commence à se faire entendre
Et le doux son du ruisseau sur les cailloux,
que je vois à nouveau transparent,
me rappellent
là où sont et seront
tous mes charmants désirs jusqu’à la mort."
Codex Runensis
Traduction dans
La « Mesnie Hellequin » en conte et en rime de Karin Ueltschi
vers 1300
"À ces mots, on commença soudain à entendre le tumulte et les cris
d’une foule nombreuse qui s’avançait en faisant un grand vacarme. À ce
bruit, le jeune homme fut troublé, et il éprouva une grande peur, cette
peur qu’on ressent la nuit. Alors, ayant fait le signe de la Croix et
invoqué le nom du Christ, il attendit la fin du phénomène en restant au
même endroit. Ceux qui arrivaient avec grand bruit passaient devant lui
en courant. Tous ces gens se déplaçaient suspendus dans les airs et
leurs pieds ne touchaient pas la terre. En outre, chose étonnante, on
comprenait par les bruits que dans cette foule désordonnée et confuse
se trouvaient des charpentiers, des mineurs, des tailleurs de pierre,
donnant des coups avec leurs haches et leurs marteaux, et aussi des
cordonniers, des tanneurs, des tisserands, et des foulons, ainsi que
les artisans de tous les autres métiers et arts mécaniques. Évidemment,
agités et affairés chacun à son travail, ils faisaient du bruit et,
comme s’ils se trouvaient vraiment dans leur atelier, ils travaillaient
dans le tourment et la détresse, en courant sans cesse de-ci de-là dans
les airs."
cité dans:
Les paysages sonores - Oui ou non, les morts font-ils du bruit
Gervais de Bus et Raoul Chaillou de Pesstain
Le Roman de Fauvel - Traduction (2012) de Armand Strubel
vers 1317..1321
"L'un brandissait une grande poêle,
L'autre un crochet de cuisine, un gril et
Un pilon, et le troisième un pot de cuivre,
Et tous contrefaisaient l'ivrogne ;
Un autre tenait une bassine, et ils frappaient dessus
Si fort qu'ils étourdissaient tout, comme le tonnerre.
L'un avait des clochettes de vaches
Cousues sur les cuisses et les fesses,
Et au-dessus de grands grelots qui rendaient
Quand on les secouait et faisait sonner, un son clair ;
Les autres avaient des tambours et des cymbales,
Et de grands instruments ignobles et sales,
Des castagnettes et des « macequotes »
Dont ils tiraient des sons et des notes
Si aigus que personne ne saurait les décrire."
Dante Alighieri
La Divine Comédie - Traduction (1968) de Alexandre Cioranescu
1321
L’enfer
"Nous étions à l'endroit où parvenait le bruit
de l'eau qui dévalait dans le cercle suivant,
pareil au bruissement d'un grand essaim d'abeilles,
..."
Le paradis
"je crus entendre au loin le bruit d’une rivière
dont le flot transparent descend de pierre en pierre,
de sa veine première indiquant l’abondance.
De même que le son prend forme sur le cou
du rebec, ou dans l’air que l’on fait pénétrer
par l’étroit embouchoir de quelque chalumeau,
de même, impatient, ne voulant plus attendre,
ce murmure montait et s’échappait de l’aigle
et sortait de son cou comme d’un tuyau d’orgue.
Par la suite il devint une voix qui sortit
hors de son bec ouvert, sous forme de propos,
tels que les attendait mon coeur, où je les mis :
..."
Pétrarque
(1304..1374)
Lettres de Vaucluse - Traduction (1899) de Victor
Develay
"Mais pourquoi vous retracer maintenant ce silence des champs, ce
murmure continuel du fleuve le plus limpide, ce mugissement des boeufs
dans les vallées sonores, ces concerts non seulement diurnes mais
nocturnes des oiseaux sous la ramée ?"
1338
"J’aime à savourer le silence d’une vaste forêt. Le moindre bruit
m’incommode, si ce n’est quand un ruisseau limpide bondit sur le sable
ou qu’un léger zéphyr fouette le papier et que mes vers agités
produisent un doux murmure."
"Que dirai-je de mes oreilles ? Le chant et les délicieux accords
de la flûte et du luth, qui ont coutume de me ravir hors de moi-même,
n'existent plus pour moi ; tout ce charme s'est dissipé dans l'air. Ici
je n'entends absolument que les rares mugissements des boeufs, le
bêlement des troupeaux, le chant des oiseaux et le murmure
continuel des eaux. Et ma langue, avec laquelle j'ai souvent rendu le
courage à moi-même et peut-être quelquefois aux autres, elle est
maintenant immobile et se tait souvent du matin au soir, car elle n'a
que moi à qui parler."
Michault Taillevent
Dialogue de son voyage de Saint-Claude
cité dans:
La Cloche et la lyre. Pour une poétique médiévale du paysage sonore de Jean-Marie Fritz
vers 1430
"Parle-moi donc, au nom de Dieu,
de l’eau qui surgit de maintes roches.
– C’est une eau bruyante qui jaillit
plus rapidement qu’un trait d’arbalète ;
on l’entendrait bien de l’intérieur d’un coche :
on croirait le tonnerre ou la tempête.
Un tel bruit fait mal à la tête"
François
Rabelais
Gargantua et Pantagruel
TiersLivre - Transcrit et annoté (1913) par Clouzot
1546
"Quand tu vois le heurt de deux armées, penses-tu, couillasse, que le
bruit si grand et horrible que l’on y ouît provienne des voix humaines,
du hurtis[429] des harnois[430], du cliquetis des bardes[431], du
chaplis[432] des masses, du froissis des piques, du bris des lances, du
cri des navrés[433], du son des tambours et trompettes, du
hennissement des chevaux, du tonnerre des escopettes et canons ?
Il en
est véritablement quelque chose, force est que le confesse. Mais le
grand effroi et vacarme principal provient du deuil et ullement[434]
des diables, qui là, guettant pêle-mêle les pauvres âmes des blessés,
reçoivent coups d’épée à l’improviste, et pâtissent[435] solution en
la continuité de leurs substances aérées et invisibles, comme si, à
quelque laquais croquant les lardons de la broche, maître Hordoux
donnait un coup de lardon sur les doigts ; puis crient et ullent[436]
comme diables, comme Mars, quand il fut blessé par Diomèdes devant
Troie, Homère dit avoir crié en plus haut ton et plus horrifique
effroi que ne feraient dix-mille hommes ensemble. Mais quoi ? Nous
parlons de harnois fourbis et d’épées resplendissantes."
429 : Choc
430 : Armures
431 : Armures de cheval
432 : Fracas
433 : Blessés
434 : Hurlement
435 : Souffrent
436 : Hurlent
François
Rabelais
Gargantua et Pantagruel
Quart Livre - Transcrit et annoté (1913) par Clouzot
1548
"COMMENT ENTRE LES PAROLES DÉGELÉES PANTAGRUEL TROUVA DES MOTS DE
GUEULES.
... Lors gelèrent en l’air les paroles et cris des hommes et femmes,
les chaplis[469] des masses, les hurtis[470] des harnois[471], des
bardes, les hennissements des chevaux, et tout autre effroi de combat.
À cette heure, la rigueur de l’hiver passée, advenant la sérénité
et tempérie du bon temps, elles fondent et sont ouîes.
— Par Dieu, dit Panurge, je l’en crois. Mais en pourrions-nous voir
quelqu’une ? Me souvient avoir lu que l’orée[472] de la montagne
en
laquelle Moses reçut la loi des Juifs, le peuple voyait les voix
sensiblement.
— Tenez, tenez, dit Pantagruel, voyez-en ci qui encore ne sont
dégelées.
Lors nous jeta sur le tillac pleines mains de paroles gelées, et
semblaient dragées perlées de diverses couleurs. Nous y vîmes des
mots de gueule, des mots de sinople, des mots d’azur, des mots de
sable[473], des mots dorés. Lesquels, tre[474] quelque peu échauffés
entre nos mains, fondaient comme neiges, et les oyons réellement, mais
ne les entendions[475], car c’était langage barbare. Excepté un assez
grosset, lequel ayant frère Jean échauffé entre ses mains, fit un
son tel que font les châtaignes jetées en la braise sans être
entommées[476] lorsque s’éclatent, et nous fit tous de peur
tressaillir. « C’était, dit frère Jean, un coup de faucon en son
temps. » Panurge requit Pantagruel lui en donner encore. Pantagruel lui
répondit que donner paroles était acte des amoureux. « Vendez-m’en
donc, disait Panurge.
— C’est acte d’avocats, répondit Pantagruel, vendre paroles. Je vous
vendrais plutôt silence et plus chèrement, ainsi que quelquefois le
vendit Démosthènes moyennant son argentangine. »
Ce nonobstant il en jeta sur le tillac trois ou quatre poignées Et y
vis des paroles bien piquantes, des paroles sanglantes, (lesquelles le
pilote nous disait quelquefois retourner on[477] lieu duquel étaient
proférées, mais c’était la gorge coupée), des paroles horrifiques,
et autres assez mal plaisantes à voir. Lesquelles ensemblement fondues
oumes, hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, brededin,
brededac, frr, frrr, frrrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou,
tracc, tracc, trr, trr, trr, trrrrrr, on, on, on, on, ououououon, goth,
magoth, et ne sais quels autres mots barbares, et disait que c’était
vocables du hourt[478] et hennissement des chevaux à l’heure qu’on
choque. Puis en oumes d’autres grosses, et rendaient son en dégelant,
les unes comme de tambours et fifres, les autres comme de clairons et
trompettes."
469 : Cliquetis
470 : Chocs
471 : Armures
472 : Le long
473 : Noirs (en blason)
474 : Après l’être
475 : Comprenions
476 : Entamées
477 : Au
478 : Choc
Joachim du Bellay
Hymne à la surdité
1556
"Or celui qui est sourd, si tel défaut lui nie
Le plaisir qui provient d’une douce harmonie,
Aussi est-il privé de sentir maintes fois
L’ennui d’un faux accord, une mauvaise voix,
Un fâcheux instrument, un bruit, une tempête,
Une cloche, une forge, un rompement de tête,
Le bruit d’une charrette, et la douce chanson
D’un âne qui se plaint en effroyable son."
François
Rabelais
Gargantua et Pantagruel
Cinquième Livre - Transcrit et annoté (1913) par
Clouzot
1564
"... et nous fut dit par notre pilote que c’était l’île Sonnante, et
entendîmes un bruit de loin venant, fréquent et tumultueux, et nous
semblait à l’ouîr que fussent cloches grosses, petites et médiocres,
ensemble sonnantes comme l’on fait à Paris, à Tours, Gergeau[1],
Nantes et ailleurs, ès jours de grandes fêtes. Plus approchions, plus
entendions cette sonnerie renforcée.
Nous doutions[2] que fut Dodone avec ses chaudrons, ou le portique dit
Heptaphone en Olympie, ou bien le bruit sempiternel du colosse érigé
sur la sépulture de Memnon en Thèbes d’Égypte, ou les tintamarres
que jadis on ovait autour d’un sépulcre en l’île Lipara, l’une des
Éolides ; mais la chorographie n’y consentait. « Je doute, dit
Pantagruel, que là quelque compagnie d’abeilles aient commencé
prendre vol en l’air, pour lesquelles révoquer[3] le voisinage fait ce
triballement[4] de poêles, chaudrons, bassins, cymbales corybantiques
de Cvbèle, mère grande des dieux. Entendons. » Approchants davantage,
entendîmes, entre la perpétuelle sonnerie des cloches, chant
infatigable des hommes là résidants, comme était notre avis."
1 : Jargeau
2 : Craignions
3 : Rappeler
4 : Agitation
"Cherchants donc par ledit pays si viandes aucunes trouverions,
entendîmes un bruit strident et divers, comme si fussent femmes lavant
la buée[387] ou traquets du moulin du Bazacle-lez-Toulouse."
387 : Lessive
"Soudainement les deux portes, sans que personne y touchât, de soi-même
s’ouvrirent, et, s’ouvrant, firent non bruit strident, non
frémissement horrible, comme font ordinairement portes de bronze rudes
et pesantes, mais doux et gracieux murmure, retentissant par la voûte
du temple, duquel soudain Pantagruel entendit la cause, voyant sous
l’extrémité de l’une et l’autre porte un petit cylindre, lequel, par
sus l’esseuil joignait la porte, et se tournant selon qu’elle se tirait
vers le mur, dessus une dure pierre d’ophite[462], bien torse et
également polie, par son frottement faisait ce doux et harmonieux
murmure."
462 : Pierre tachetée
"... Bacbuc jeta je ne sais quoi dedans la fontaine, et soudain
commença l’eau bouillir à force, comme fait la grande marmite de
Bourgueil quand y est fête à bâtons[581]. Panurge écoutait d’une
oreille en silence, Bacbuc se tenait près de lui agenouillée, quand
de la sacrée bouteille issit[582] un bruit tel que font les abeilles
naissantes de la chair d’un jeune taureau occis et accoutré selon
l’art et invention d’Aristéus, ou tel que fait un garot[583]
débandant l’arbalète, ou en été une forte pluie soudainement
tombant. Lors fut ouî ce mot : Trinc. « Elle est, s’écria Panurge, par
la vertu Dieu, rompue ou fêlée, que je ne mente : ainsi parlent les
bouteilles cristallines[584] de nos pays, quand elles près du feu
éclatent. »"
581 : Fête où les chantres processionnent bâtons en mains
582 : Sortit
583 : Gros trait
584 : En cristal
Miguel de Cervantes
El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha - 1ª
Parte -
2ª Parte
L’ingénieux
hidalgo Don Quichotte de la Manche - Traduction (1837) de Louis Viardot - Tome 1 -
Tome 2
1605
"Écoute donc, et prête une oreille attentive, non pas au son
harmonieux, mais au bruit confus qui, pour ma satisfaction et pour ton
dépit, s’exhale du fond de ma poitrine amère :
« Que le rugissement du lion, le féroce hurlement du loup, le
sifflement horrible du serpent écailleux, l’effroyable cri de quelque
monstre, le croassement augural de la corneille, le vacarme du vent qui
agite la mer, l’implacable mugissement du taureau vaincu, le plaintif
roucoulement de la tourterelle veuve, le chant sinistre du hibou, et
les gémissements de toute la noire troupe de l’enfer accompagnent la
plainte de mon âme, et se mêlent en un son qui trouble tous les sens ;
car la peine qui me déchire a besoin, pour être contée, de moyens
nouveaux."
"Ils n’eurent pas fait deux cents pas que leurs oreilles furent
frappées par un grand bruit d’eau, comme serait celui d’une cascade qui
tomberait du haut d’un rocher. Ils sentirent à ce bruit une joie
infinie, et s’étant arrêtés pour écouter attentivement d’où il partait,
ils entendirent tout à coup un autre vacarme qui calma tout à la fois
leur joie et leur soif, surtout pour Sancho, naturellement poltron. Ils
entendirent de grands coups sourds, frappés en cadence, et accompagnés
d’un certain cliquetis de fer et de chaînes, qui, joint au bruit du
torrent, aurait jeté l’effroi dans tout autre coeur que celui de don
Quichotte. La nuit, comme je viens de le dire, était très obscure, et
le hasard les avait amenés sous un bouquet de grands arbres, dont les
feuilles, agitées par la brise, faisaient un autre bruit à la fois doux
et effrayant ; si bien que la solitude, le site, l’obscurité, le bruit
de l’eau et le murmure des feuilles, tout répandait l’horreur et
l’épouvante. Ce fut pis encore quand ils virent que les coups ne
cessaient de frapper, ni le vent de souffler, et que le jour tardait à
poindre pour leur apprendre du moins où ils se trouvaient.
...
Remarque bien, écuyer loyal et fidèle, les ténèbres de cette nuit et
son profond silence, le bruit sourd et confus de ces arbres,
l’effroyable tapage de cette eau que nous étions venus chercher, et qui
semble se précipiter du haut des montagnes de la Lune ; enfin le
vacarme incessant de ces coups redoublés qui nous déchirent les
oreilles ; toutes choses qui, non-seulement ensemble, mais chacune en
particulier, sont capables de jeter la surprise, la peur et l’effroi
dans l’âme même du dieu Mars, à plus forte raison de celui qui n’est
pas fait à de tels événements."
"Le village était enseveli dans le repos et le silence, car tous les
habitants dormaient comme des souches.
...
On n’entendait dans tout le pays que des aboiements de chiens, qui
assourdissaient don Quichotte et troublaient le coeur de Sancho. De
temps en temps, un âne se mettait à braire, des cochons à grogner, des
chats à miauler, et tous les bruits de ces voix différentes
s’augmentaient par le silence de la nuit."
"On entendit en même temps un bruit épouvantable, dans le genre de
celui que produisent les roues massives des charrettes à boeufs, bruit
aigu, criard, continuel, qui fait, dit-on, fuir les loups et les ours,
s’il y en a sur leur passage. À toutes ces tempêtes s’en ajouta une
autre, qui les accrut encore ; il semblait véritablement qu’aux quatre
coins du bois on livrât en même temps quatre batailles. Là, résonnait
le bruit sourd et effroyable de l’artillerie ; ici, partaient une
infinité d’arquebuses ; tout près, on entendait les cris des
combattants ; plus loin, les hélélis sarrasins. Finalement, les
cornets, les cors de chasse, les clairons, les trompettes, les
tambours, l’artillerie, les coups d’arquebuse, et par-dessus tout
l’épouvantable cliquetis des charrettes, tout cela formait à la fois un
bruit si confus, si horrible, que don Quichotte eut besoin de
rassembler tout son courage pour l’entendre sans effroi."
Georg Philipp Harsdörffer
Frauenzimmer Gesprächspiele
Causeries badines pour les dames
cité dans :
Vertige de la liste de Umberto Eco
1641
"La langue allemande parle avec des langues de la nature en exprimant bien perceptiblement tous les sons.
...
Elle tonne avec le ciel, lance des éclairs avec les nuages rapides,
darde avec la grêle, siffle avec les vents, écume avec les vagues, ..."
Blaise
Pascal
Pensées
1670
"Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie."
Fénelon
Les Aventures de Télémaque
1699
"Là on n’entendait jamais que le chant des oiseaux, ou le bruit d’un
ruisseau, qui, se précipitant du haut d’un rocher, tombait à gros
bouillons pleins d’écume, et s’enfuyait au travers de la prairie."
"... on entendit tout à coup un bruit confus de chariots, de chevaux
hennissants, d’hommes qui poussaient des hurlements épouvantables, et
de trompettes qui remplissaient l’air d’un son belliqueux. On s’écrie :
Voilà les ennemis..."
"... on entend tout à coup un bruit effroyable de chariots, d’armes, de
hennissements de chevaux, de cris d’hommes, les uns vainqueurs et
animés au carnage, les autres ou fuyants, ou mourants, ou blessés."
"... le bruit du feu est semblable à celui d’un torrent qui inonde
toute une campagne, et qui entraîne par sa rapidité les grands chênes
avec leurs profondes racines, les moissons, les granges, les étables et
les troupeaux."
"Les oiseaux ne chantaient jamais dans cette terre hérissée de ronces
et d’épines, et n’y trouvaient aucun bocage pour se retirer : ils
allaient chanter leurs amours sous un ciel plus doux. Là, on
n’entendait que le croassement des corbeaux et la voix lugubre des
hiboux..."
"Cette fumée couvrait un fleuve de feu, et des tourbillons de flamme,
dont le bruit, semblable à celui des torrents les plus impétueux quand
ils s’élancent des plus hauts rochers dans le fond des abîmes, faisait
qu’on ne pouvait rien entendre distinctement dans ces tristes lieux."
"Toute la côte était couverte d’hommes, d’armes, de chevaux, et de
chariots en mouvement : c’était un bruit confus, semblable à celui des
flots en courroux, quand Neptune excite, au fond de ses abîmes, les
noires tempêtes. Ainsi Mars commençait par le bruit des armes et par
l’appareil frémissant de la guerre, à semer la rage dans tous les
coeurs."
Voltaire
Les Contes philosophiques
Le Crocheteur borgne
1715
"« Frappe sans crainte. » Il frappa, et aussitôt les portes s’ouvrirent
d’elles-mêmes avec un grand bruit. Les deux amants entrèrent, au son de
mille voix et de mille instruments, dans un vestibule de marbre de
Paros ; ..."
Voltaire
Lettres philosophiques
1734
"... parce que des meurtriers vêtus de rouge, avec un bonnet haut de
deux pieds, enrôlent des citoyens en faisant du bruit avec deux petits
bâtons sur une peau d'âne bien tendue ; et lorsque après des batailles
gagnées tout Londres brille d'illuminations, que le ciel est enflammé
de fusées, que l'air retentit du bruit des actions de grâces, des
cloches, des orgues, des canons, nous gémissons en silence sur ces
meurtres qui causent la publique allégresse."
Buffon
Œuvres complètes
Tome 1 Histoire et théorie de la Terre
1749
"Aussi les éruptions des volcans et les tremblements de terre sont
précédés et accompagnés d’un bruit sourd et roulant, qui ne diffère de
celui du tonnerre que par le ton sépulcral et profond que le son prend
nécessairement en traversant une grande épaisseur de matière solide,
lorsqu’il s’y trouve renfermé."
Tome 5 Oiseaux
1770
"J’ai souvent passé des jours entiers dans les forêts, où l’on est
obligé de s’appeler de loin et d’écouter avec attention pour entendre
le son du cor et la voix des chiens ou des hommes ; j’ai remarqué que,
dans le temps de la plus grande chaleur du jour, c’est à dire depuis
dix heures jusqu’à quatre, on ne peut entendre que d’assez près les
mêmes voix, les mêmes sons que l’on entend de loin le matin, le soir,
et surtout la nuit, dont le silence ne fait rien ici, parce qu’à
l’exception des cris de quelques reptiles ou de quelques oiseaux
nocturnes, il n’y avait pas le moindre bruit dans ces forêts ; j’ai de
plus observé qu’à toutes les heures du jour et de la nuit on entendait
plus loin en hiver par la gelée que par le plus beau temps de toute
autre saison."
Buson (1716..1783)
sornettes-Buson
1757
Dans la profondeur des bois
Le pivert
Et le bruit de la hache.
Yuan Mei (1716-1797)
Le kiosque de la source volante - Traduction de Martine Vallette-Hémery,
cité dans:
De vent et d’eau. Quelques paysages à écouter dans la littérature chinoise de Hervé Brunon
"Le grondement de l’eau, le claquement des pièces sur l’échiquier, le
murmure des pins, le chant des oiseaux, tous les sons s’unissent
confusément. Peu après, un son différent, le heurt d’un bâton sur le
sol, nous parvient des nuages ; c’est le moine Huaiyuan qui arrive en
serrant contre lui un volumineux recueil de poèmes, pour me demander
une préface. Alors, un autre son monte encore avec ampleur, ce sont nos
voix qui psalmodient ces poèmes. Les chants de la nature et les voix
des hommes se fondent en une musique nouvelle. Je n’imaginais pas que
j’éprouverais, à contempler la cascade, un plaisir aussi fort. Ce
Kiosque doit recéler quelque sortilège !”
Voltaire
Candide
1759
"Le souper fut comme la plupart des soupers de Paris ; d’abord du
silence, ensuite un bruit de paroles qu’on ne distingue point, puis des
plaisanteries dont la plupart sont insipides, de fausses nouvelles, de
mauvais raisonnements, un peu de politique et beaucoup de médisance ;
on parla même de livres nouveaux."
Jean-Jacques
Rousseau
Julie ou la nouvelle Héloïse -
Tome 1 -
Tome 2
1761
"Quant à moi, du moins, je trouve que le bruit de la basse-cour, le
chant des coqs, le mugissement du bétail, l’attelage des chariots, les
repas des champs, le retour des ouvriers, et tout l’appareil de
l’économie rustique, donnent à cette maison un air plus champêtre, plus
vivant, plus animé, plus gai, je ne sais quoi qui sent la joie et le
bien-être, qu’elle n’avait pas dans sa morne dignité."
"Nous gardions un profond silence. Le bruit égal et mesuré des rames
m’excitait à rêver. Le chant assez gai des bécassines me retraçant les
plaisirs d’un autre âge, au lieu de m’égayer, m’attristait."
"... le bruit des tonneaux, des cuves, les légrefass qu’on relie de
toutes parts ; le chant des vendangeuses dont ces coteaux retentissent
; la marche continuelle de ceux qui portent la vendange au pressoir ;
le rauque son des instruments rustiques qui les anime au travail ;
l’aimable et touchant tableau d’une allégresse générale qui semble en
ce moment étendue sur la face de la terre ; enfin le voile de
brouillard que le soleil élève au matin comme une toile de théâtre pour
découvrir à l’oeil un si charmant spectacle : tout conspire à lui
donner un air de fête ; et cette fête n’en devient que plus belle à la
réflexion, quand on songe qu’elle est la seule où les hommes aient su
joindre l’agréable à l’utile."
Légrefass : Sorte de foudre ou de grand tonneau du pays.
Jean-Jacques
Rousseau
Émile ou De l'éducation
1762
"... il nous importe d’avoir l’oreille alerte, de pouvoir juger,
par la sensation qui nous frappe, si le corps qui la cause est grand ou
petit, éloigné ou proche, si son ébranlement est violent ou faible.
L’air ébranlé est sujet à des répercussions qui le réfléchissent, qui
produisant des échos, répètent la sensation, et font entendre le corps
bruyant ou sonore en un autre lieu que celui où il est. Si dans une
plaine ou dans une vallée on met l’oreille à terre, on entend la voix
des hommes et le pas des chevaux de beaucoup plus loin qu’en restant
debout."
Denis
Diderot
Le neveu de Rameau
1762..1773
"Il pleurait, il riait, il soupirait, il regardait, ou attendri, ou
tranquille, ou furieux ; c’était une femme qui se pâme de
douleur ; c’était un malheureux livré à tout son désespoir ;
un temple qui s’élève ; des oiseaux qui se taisent au soleil
couchant ; des eaux ou qui murmurent dans un lieu solitaire et
frais, ou qui descendent en torrent du haut des montagnes ; un
orage, une tempête, la plainte de ceux qui vont périr, mêlée au
sifflement des vents, au fracas du tonnerre ; c’était la nuit,
avec ses ténèbres ; c’était l’ombre et le silence, car le silence
même se peint par des sons."
Jean-Jacques
Rousseau
Les Confessions
1765
"Mes artères se mirent à battre d’une si grande force, que non
seulement je sentais leur battement, mais que je l’entendais même, et
surtout celui des carotides. Un grand bruit d’oreilles se joignit à
cela, et ce bruit était triple ou plutôt quadruple, savoir : un
bourdonnement grave et sourd, un murmure plus clair comme d’une eau
courante, un sifflement très aigu et le battement que je viens de dire,
et dont je pouvais aisément compter les coups sans me tâter le pouls ni
toucher mon corps de mes mains. Ce bruit interne était si grand qu’il
m’ôta la finesse d’ouïe que j’avais auparavant, et me rendit non tout à
fait sourd, mais dur d’oreille comme je le suis depuis ce temps-là."
"Aussi bruyant que je l’étais peu, il se faisait voir et surtout
entendre à la fois à la charrue, aux foins, au bois, à l’écurie, à la
basse-cour. Il n’y avait que le jardin qu’il négligeait, parce que
c’était un travail trop paisible et qui ne faisait point de bruit. Son
grand plaisir était de charger et charrier, de scier ou fendre du bois
; on le voyait toujours la hache ou la pioche à la main ; on
l’entendait courir, cogner, crier à pleine tête. Je ne sais de combien
d’hommes il faisait le travail, mais il faisait toujours le bruit de
dix ou douze."
Louis-Sébastien Mercier
L’An deux mille quatre cent quarante. Rêve s’il en fut jamais
1771
"L’acoustique n’était pas moins miraculeuse. On avait su imiter tous
les sons articulés de la voix humaine, du cri des animaux, du chant
varié des oiseaux : on faisait jouer certains ressorts, & l’on se
croyait tout-à-coup transporté dans une forêt sauvage. On entendait le
rugissement des lions, des tigres & des ours, qui semblaient se
dévorer entre eux. L’oreille était déchirée, on eut dit que l’écho,
plus formidable encore, répétait au loin ces sons discordants &
barbares. Mais voici que le chant des rossignols succédait à ces tons
discordants. Sous leurs gosiers harmonieux, chaque particule d’air
devenait mélodieuse ; l’oreille saisissait jusqu’aux frémissements de
leurs ailes amoureuses, & ces sons flattés & doux que le gosier
de l’homme n’a jamais pu imiter qu’imparfaitement. À l’ivresse du
plaisir se joignait la douce surprise : & la volupté qui naissait
de ce mélange heureux descendait dans tous les coeurs."
Jean-Jacques
Rousseau
Les Rêveries du promeneur solitaire
1778
"... mais qu’il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui
aiment à s’enivrer à loisir des charmes de la nature, et à se
recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri
des aigles, le ramage entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement
des torrents qui tombent de la montagne."
"... j’entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus
reconnaître ; j’écoute : le même bruit se répète et se multiplie.
Surpris et curieux je me lève, je perce à travers un fourré de
broussailles du côté d’où venait le bruit, et dans une combe à vingt
pas du lieu même où je croyais être parvenu le premier j’aperçois une
manufacture de bas."
Fabre d’Églantine
Il pleut, il pleut, bergère
1780
"J'entends sous le feuillage
L'eau qui tombe à grand bruit.
Voici, venir l'orage,
Voici l'éclair qui luit.
Entends-tu le tonnerre ?
Il roule en approchant.
Prends un abri bergère,
... "
Denis
Diderot
La religieuse
1780
"... le bruit et le mouvement reprirent subitement de tout côté ;
j’entendis des portes s’ouvrir, se refermer, des religieuses aller et
venir, le murmure de personnes qui se parlent bas. Je mis l’oreille à
ma serrure ; mais il me parut qu’on se taisait en passant, et
qu’on marchait sur la pointe des pieds."
Louis-Sébastien Mercier
Tableau de Paris
1782 .. 1789
Tome 4
Les Heures du Jour
1782
"À cinq heures & un quart, c’est un tapage affreux, infernal.
Toutes les rues sont embarrassées, toutes les voitures roulent en tous
sens, volent aux différents spectacles ou se rendent aux promenades.
Les cafés se remplissent.
À sept heures le calme recommence : calme profond & presque
universel. Tous les chevaux frappent en vain du pied le pavé. La ville
est silencieuse, & le tumulte paraît enchaîné par une main
invisible.
...
À neuf heures du soir le bruit recommence : c’est le défilé des
spectacles. Les maisons sont ébranlées par le roulis des voitures ;
mais ce bruit est passager.
...
Le marteau du forgeron & du maréchal-ferrant trouble quelquefois le
sommeil du matin, pour les paresseux qui sont encore au lit. Si l’on en
croyait nos Sybarites, on reléguerait hors des villes tous les artisans
qui font frémir la lime mordante ; il ne serait plus permis au
chaudronnier de battre sa marmite, au charron de cercler la roue d’un
fer durable, aux différentes professions qui courent les rues, d’élever
ces voix aigres & retentissantes qui se font entendre au sommet
& jusques sur le derrière des maisons. Il faudrait que le bruit de
la cité fût enchaîné de toute part, pour protéger leur oisive mollesse,
& que, le calme du silence environnant leur paisible alcôve, tous
ces voluptueux pussent presser la plume oiseuse jusqu’à la douzième
heure, lorsque le soleil est au haut de sa carrière."
Tome 6
Mimes d’un genre nouveau
1783
"Ils imitaient parfaitement ce que personne ne songe à imiter, comme le
bruit léger d’une mouche qui vole & bourdonne, d’une porte qui se
ferme & de la clef qui tombe, d’un pot qui se casse. Vous entendez
ensuite le chant de vingt religieuses, où vous distinguez les voix
jeunes & les voix cassées ; une procession, un enterrement que
coupe un embarras, la voix mesurée des prêtres & la voix rauque des
voituriers. L’oeil voit l’auteur qui crée tous ces tons différents,
& l’oreille s’étonne de leur vérité & de leur précision.
Le même homme à table se métamorphose rapidement en plusieurs
personnages, pleure, rit, chante, sanglote, éternue, tousse, fait le
sourd, le niais, l’aveugle, le goutteux. Chaque tableau passe comme un
éclair ; ce sont des nuances fines, délicates, promptes, qui donnent à
sa physionomie des physionomies diverses, & qui lui impriment une
prodigieuse & incroyable mobilité."
Tome 7
Rue Plâtriere
1783
"Qui l’eût dit que J. J. Rousseau aurait passé les dix dernières années
de sa vie dans les fanges & le tumulte de la capitale, tandis que
l’auteur de la Pucelle a vécu trente années sans y mettre le pied ?
Quoi, celui qui avait entendu le cri des aigles planants sur les forêts
de sapin, le rugissement des torrents bleuâtres, lime sourde &
éternelle qui fend les rocs, creuse des vallons, nourrit les lacs &
les fleuves, est venu habiter un plancher étroit, resserré, où
parvenaient sans cesse à son oreille les jurements des forts de la
halle, & les glapissements des crieuses de vieux chapeaux ! Et
Voltaire qui travaillait incessamment pour les petits soupers de Paris,
demeurait au pied du mont Jura."
Tome 9
Rumeurs théâtrales
1788
"Chez les Romains, il y avait trois sortes d’acclamations ou d’applaudissements. La première s’appelait
bombi, parce qu’ils imitaient le bourdonnement des abeilles ; la seconde était appelée
imbrices, parce qu’ils rendaient un son semblable au bruit que fait la pluie en tombant sur les tuiles ; & la troisième se nommait
testæ,
parce qu’ils imitaient le son des coquilles & des castagnettes.
Tous ces applaudissements, comme les acclamations, se donnaient en
cadence."
Bernardin
de Saint-Pierre
Paul et Virginie
1788
"... les échos de la montagne répètent sans cesse le bruit des vents
qui agitent les forêts voisines, et le fracas des vagues qui brisent au
loin sur les récifs ; mais au pied même des cabanes on n’entend plus
aucun bruit, ..."
"Quelquefois elles s’endormaient au bruit de la pluie qui tombait par
torrents sur la couverture de leurs cases, ou à celui des vents qui
leur apportaient le murmure lointain des flots qui se brisaient sur le
rivage."
"Mille bruits confus sortent de ces eaux tumultueuses, et dispersés par
les vents dans la forêt, tantôt ils fuient au loin, tantôt ils se
rapprochent tous à la fois, et assourdissent, comme les sons des
cloches d’une cathédrale."
Louis-Antoine Milet-Mureau
Voyage de La Pérouse autour du Monde - Tome 1 -
Tome 2 -
Tome 3 -
Tome 4
1797
"Je n'ai jamais vu un souffle de vent rider la surface de cette eau ;
elle n'est troublée que par la chute d'énormes morceaux de glace qui se
détachent très fréquemment de cinq différents glaciers, et qui font, en
tombant, un bruit qui retentit au loin dans les montagnes. L'air y est
si tranquille et le silence si profond, que la simple voix d'un homme
se fait entendre à une demi-lieue, ainsi que le bruit de quelques
oiseaux de mer qui déposent leurs oeufs dans le creux de ces rochers."
François-René
de Chateaubriand
Atala
1801
"Si tout est silence et repos dans les savanes de l'autre côté du
fleuve, tout ici, au contraire, est mouvement et murmure : des coups de
bec contre le tronc des chênes, des froissement d'animaux qui marchent,
broutent ou broient entre leurs dents les noyaux des fruits, des
bruissements d'ondes, de faibles gémissements, de sourds meuglements,
de doux roucoulements, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage
harmonie. Mais quand une brise vient à animer ces solitudes, à balancer
ces corps flottants, à confondre ces masses de blanc, d'azur, de vert,
de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous les murmures ; alors
il sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses
aux yeux, que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont
point parcouru ces champs primitifs de la nature."
Alfred de Vigny
Le Cor
1826
"...
C'est là qu’il faut s’asseoir, c’est là qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un cor mélancolique et tendre.
Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,
De cette voix d’airain fait retentir la nuit;
A ses chants cadencés autour de lui se mêle
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.
Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher;
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte aux chants de la romance."
Stendhal
Armance
1827
"Le bruissement léger des feuilles agitées par le vent du soir semblait prêter un nouveau charme à leur silence.
Octave regardait les grands yeux d’Armance qui se fixaient sur les
siens. Tout à coup ils comprirent un certain bruit qui depuis quelque
temps frappait leur oreille sans attirer leur attention."
"Le moindre bruit attirait son attention ; mais peu à peu tous les
bruits cessèrent. Ce parfait silence, en le laissant tout entier à
lui-même, lui parut ajouter encore à l’horreur de sa position.
L’extrême fatigue lui procurait-elle un instant de demi-repos, le
bourdonnement confus de paroles humaines qu’il lui semblait entendre
auprès de son oreille, le réveillait en sursaut."
François-René de Chateaubriand
Voyage en Italie
1827
"Nous, il nous faut des fenêtres sur des rues, sur des marchés et des
carrefours. Tout ce qui s’agite et fait du bruit nous plaît ; le
recueillement, la gravité, le silence, nous ennuient."
"Je retrouve ici ce silence absolu que j’ai observé autrefois, à midi,
dans les forêts de l’Amérique, lorsque, retenant mon haleine, je
n’entendais que le bruit de mes artères dans mes tempes et le battement
de mon coeur. Quelquefois seulement des bouffées de vent, tombant du
haut du cône au fond du cratère, mugissent dans mes vêtements ou
sifflent dans mon bâton ; j’entends aussi rouler quelques pierres que
mon guide fait fuir sous ses pas en gravissant les cendres. Un écho
confus, semblable au frémissement du métal ou du verre, prolonge le
bruit de la chute, et puis tout se tait. Comparez ce silence de mort
aux détonations épouvantables qui ébranlaient ces mêmes lieux lorsque
le volcan vomissait le feu de ses entrailles et couvrait la terre de
ténèbres.
"Le voyageur attristé n’entend que le bourdonnement du vent dans les
pins, le bruit des torrents qui tombent dans les glaciers, par
intervalle la chute de l’avalanche, et quelquefois le sifflement de la
marmotte effrayée qui a vu l’épervier dans la nue.
"Je vous dirai plus : j’ai été importuné du bruit des eaux, de ce bruit
qui m’a tant de fois charmé dans les forêts américaines. Je me souviens
encore du plaisir que j’éprouvais lorsque, la nuit, au milieu du
désert, mon bûcher à demi éteint, mon guide dormant, mes chevaux
paissant à quelque distance, j’écoutais la mélodie des eaux et des
vents dans la profondeur des bois. Ces murmures, tantôt plus forts,
tantôt plus faibles, croissant et décroissant à chaque instant, me
faisaient tressaillir ; chaque arbre était pour moi une espèce de lyre
harmonieuse dont les vents tiraient d’ineffables accords."
Honoré
de Balzac
Les Chouans
1829
"Le murmure du vent, le bruissement des touffes d’arbres, le bruit des
pas mesurés de l’escorte, donnèrent à cette scène ce caractère solennel
qui accélère les battements du coeur."
"C’était une de ces journées où la nature semble muette, et où les
bruits sont absorbés par l’atmosphère."
Eugène-François Vidocq
Mémoires de Vidocq
1829
"Bientôt nous entendîmes aller et venir les portes ; c’est un
mouvement, un bruit inconcevables, c’est une servante qui se plaint en
termes grossiers d’une familiarité indécente, ce sont des éclats d’un
rire bruyant ; des bouteilles s’entrechoquent. Les plats, les
assiettes, les verres remués précipitamment, le tournebroche qu’on
remonte, concourent à ce charivari ; l’argenterie résonne, et des
jurons anglais et français, jetés pêle-mêle au milieu du vacarme, font
retentir les airs."
Stendhal
Le Rouge et le Noir
1830
"Elle écoutait avec délices les gémissements du vent dans l’épais
feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui
commençaient à tomber sur ses feuilles les plus basses."
"... il écoutait à demi le mouvement des feuilles du tilleul agitées
par ce léger vent de la nuit, et les chiens du moulin du Doubs qui
aboyaient dans le lointain."
"Après un instant de prières dans le plus profond silence, troublé
seulement par le son lointain des cloches de tous les villages à dix
lieues à la ronde, l’évêque d’Agde demanda au roi la permission de
parler."
"Longtemps elle prêta l’oreille, ensuite elle maudit le bruit monotone
des cigales et le chant des oiseaux. Sans ce bruit importun, un cri de
joie, parti des grandes roches, aurait pu arriver jusqu’ici."
Honoré
de Balzac
La maison du Chat-qui-pelote
1830
"Malgré le bruit que faisaient quelques maraîchers attardés passant au
galop pour se rendre à la grande halle, cette rue si agitée avait alors
un calme dont la magie n’est connue que de ceux qui ont erré dans Paris
désert, à ces heures où son tapage, un moment apaisé, renaît et
s’entend dans le lointain comme la grande voix de la mer."
George Sand
Indiana
1832
"Elle s’occupa aussitôt de déterrer sa valise d’écorce, et elle s’assit
dessus, silencieuse, tremblante, écoutant le vent qui sifflait, la
vague qui râlait en mourant à ses pieds, et la satanite qui gémissait
d’une voix aigre dans les grandes algues marines pendues aux parois des
rochers ; mais tous ces bruits étaient dominés par les battements de
son coeur, qui résonnaient dans ses oreilles comme le son d’une cloche
funèbre."
Edgar Allan Poe
Metzengerstein
Histoires extraordinaires - Traduction (1856) de Charles Baudelaire
1832
"... mais aucun son, excepté un cri unique, ne s’échappa de ses lèvres
lacérées, qu’il mordait d’outre en outre dans l’intensité de sa
terreur. En un instant, le choc des sabots retentit avec un bruit aigu
et perçant, plus haut que le mugissement des flammes et le glapissement
du vent un instant encore, et, franchissant d’un seul bond la grande
porte et le fossé, le coursier s’élança sur les escaliers branlants du
palais et disparut avec son cavalier dans le tourbillon de ce feu
chaotique."
Honoré
de Balzac
Illusions perdues
1837-1843
"Le brouhaha des voix et le bruit de la promenade formait un murmure
qui s’entendait dès le milieu du jardin, comme une basse continue
brodée des éclats de rire des filles ou des cris de quelque rare
dispute."
Charles Baudelaire
Incompatibilité
1837..1838
"On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux ;
L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n’interrompt jamais son silence orageux.
Dans ce morne désert, à l’oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D’une vache qui paît aux penchants des vallons.
Sur ces monts où le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,
Sur ces rochers altiers où guette le vertige,
Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,
Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,
Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l’air est immobile et tout semble rêver.
On dirait que le ciel, en cette solitude,
Se contemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,
Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude,
Un mystère divin que l’homme n’entend pas.
Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l’ombre transparente
D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux."
Charles Darwin
The Voyage of the Beagle
Voyage d’un naturaliste autour du monde fait à bord du navire le Beagle de 1831 à 1836 - Traduction (1875) de Edmond Barbier
1839
"Un étrange mélange de bruit et de silence règne dans toutes les
parties couvertes du bois. Les insectes font un tel bruit, qu’on peut
les entendre du vaisseau qui a jeté l’ancre à plusieurs centaines de
mètres de la côte ; cependant, à l’intérieur de la forêt, il semble
régner un silence universel."
"... une bécasse solitaire fait entendre son cri plaintif. Le
mugissement de la mer, située à une assez grande distance, trouble à
peine le silence de la nuit."
"... seul le ronflement des matelots sous les tentes, ou quelquefois le
cri d’un oiseau de nuit, interrompt le silence de la nuit. Quelquefois
aussi l’aboiement d’un chien qu’on entend à une grande distance,
rappelle qu’on se trouve dans un pays habité par des sauvages."
"Le Maypu poursuit sa course furieuse sur de gros fragments arrondis en
faisant entendre un rugissement semblable à celui de la mer. Au milieu
du fracas des eaux qui se brisent on saisit distinctement, même à une
grande distance, le bruit des pierres qui se heurtent les unes contre
les autres, et cela nuit et jour et sur tout le parcours du torrent.
Quelle éloquence pour le géologue que ce bruit triste et uniforme de
milliers et de milliers de pierres se heurtant les unes contre les
autres et se précipitant toutes dans la même direction ! Malgré soi, ce
spectacle vous fait penser au temps, on se dit que la minute qui vient
de s’écouler est perdue à jamais ! L’Océan, n’est-ce pas l’éternité
pour ces pierres, et chaque note de cette musique sauvage n’est-elle
pas le signe que chacune d’elles a fait un pas vers sa destinée ?"
Stendhal
La Chartreuse de Parme
1839
"Le silence universel n’était troublé, à intervalles égaux, que par la
petite lame du lac qui venait expirer sur la grève."
Aloysius
Bertrand
Gaspard de la Nuit
1842 (Edition posthume)
"Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien hurlait dans le
carrefour, et le grillon de mon foyer vaticinait tout bas.
Mais bientôt mon oreille n’interrogea plus qu’un silence profond."
"Ce furent ensuite, — ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte, — le glas
funèbre d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une
cellule, — des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait
chaque feuille le long d’une ramée, — et les prières bourdonnantes
des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice."
Eugène Sue
Les mystères de Paris Tome 1 Tome 2
1843
"Les sons de l’orchestre, affaiblis par la distance et par le sourd et
joyeux bourdonnement de la galerie, venaient mélodieusement mourir dans
le feuillage immobile des grands arbres exotiques.
Involontairement, on parlait à voix basse dans ce jardin, on y
entendait à peine le bruit léger des pas et le frôlement des robes de
satin ; cet air à la fois léger, tiède et embaumé des mille suaves
senteurs des plantes aromatiques, cette musique vague, lointaine,
jetaient tous les sens dans une douce et molle quiétude."
"... on entendit le craquement des hauts peupliers agités par le vent,
le cliquetis des chaînes de bateaux, les sifflements de la bise, le
mugissement de la rivière.
Ces bruits étaient profondément tristes."
"On entendit un piétinement précipité, interrompu à différents
intervalles par un bruit sourd, retentissant comme celui d’une boîte
osseuse qui rebondirait sur une pierre contre laquelle on voudrait la
briser.
Des plaintes aiguës, convulsives, et un éclat de rire infernal accompagnaient chacun de ces coups.
Puis ce fut un râle... d’agonie...
Puis on n’entendit plus rien.
Rien que le piétinement furieux... rien que les coups sourds et rebondissants qui continuèrent toujours...
Bientôt un bruit lointain de pas et de voix arriva jusqu’aux
profondeurs du caveau... De vives lueurs brillèrent à l’extrémité du
passage souterrain."
"Le profond silence qui règne dans le pavillon habité par Jacques
Ferrand est interrompu de temps en temps par les gémissements du vent
et par les rafales de la pluie qui tombe à torrents.
Ces bruits mélancoliques semblent rendre plus complète encore la solitude de cette demeure."
"Les paroles de cette lente mélodie étaient suaves et expressives.
Quoique contenu, le mâle contralto de Cecily dominait le bruit des
torrents de pluie et les violentes rafales de vent qui semblaient
ébranler la vieille maison jusque dans ses fondements."
Théophile Gautier
Le hachisch
1843
"Dans un air confusément lumineux voltigeaient, avec un fourmillement
perpétuel, des milliards de papillons dont les ailes bruissaient comme
des éventails. De gigantesques fleurs au calice de cristal, d’énormes
passeroses, des lis d’or et d’argent montaient et s’épanouissaient
autour de moi, avec une crépitation pareille à celle des bouquets de
feux d’artifice.
Mon ouïe s’était prodigieusement développée : j’entendais le bruit des
couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes
parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de fauteuil,
un mot prononcé bas, vibraient et retentissaient en moi comme des
roulements de tonnerre ; ma propre voix me semblait si forte que je
n’osais parler, de peur de renverser les murailles ou de me faire
éclater comme une bombe. Plus de cinq cents pendules me chantaient
l’heure de leurs voix flûtées, cuivrées, argentines. Chaque objet
effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne. Je nageais
dans un océan de sonorité où flottaient, comme des îlots de lumière,
quelques motifs de « Lucia » et du « Barbier »."
Paul-Émile Daurand-Forgues
Les petites misères de la vie humaine
1843
"Reconnaissez, dit-il, ce tumulte quotidien, et toujours le même, où se
perdent tous les bruits, ce bourdonnement des intérêts humains
au-dessus desquels rien ne s'élève. Chaque besoin de l'homme a ses
crieurs, et réveille de tous côtés les échos des carrefours. L'eau
roule et glapit. Les cheminées se lancent leurs chansons d'un toit à
l'autre. Le bâtiment qui s'élève nargue de ses cris rauques l'édifice
qui tombe. L'éventaire ambulant tintouine. Le cirage anglais passe au
galop en donnant du cor. La cloche rappelle à l'homme qu'il existe un
Dieu. La crécelle municipale le fait songer au préfet de police ...
Entre son baquet de science et son caille-bottin, le gniaffe chante en
battant le cuir. Le plaisir et le croquet d'anis, le bel oignon et la
violett' qu'embaum', la motte à brûler, la mort-aux-rats, l'z'hann'tons
(pour un liard), l'assourdissant coco (à la fraîch', qui veut boire ?),
mais par-dessus tout, les vieux chapeaux, les vieux bas, les vieux
souliers à vendre, clament et bruissent de toutes parts: voix aiguës ou
graves, soudaines ou lentement prolongées, jeunes et perçantes, ou
cassées, vieilles et raboteuses."
Edgar Allan Poe
The
Tell-Tale Heart
Le Cœur révélateur - Nouvelles
histoires extraordinaires - Traduction (1857) de Charles Baudelaire
1843
"Le tintement devint plus distinct ; – il persista et devint encore
plus distinct ; je bavardai plus abondamment pour me débarrasser de
cette sensation ; mais elle tint bon et prit un caractère tout à fait
décidé, – tant qu’à la fin je découvris que le bruit n’était pas dans
mes oreilles.
Sans doute je devins alors très-pâle ; – mais je bavardais encore plus
couramment et en haussant la voix. Le son augmentait toujours, – et que
pouvais-je faire ? C’était
un
bruit
sourd, étouffé, fréquent, ressemblant beaucoup à ce que ferait une
montre enveloppée dans du coton."
Alexandre Dumas
Les Trois Mousquetaires I II III
1844
"Là, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement
désert, comme les éclats de ses rugissements sourds, qui parfois
échappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien
le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser, comme
un désespoir éternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est
bâti ce château sombre et orgueilleux !"
"Enfin elle entendit le grincement des grilles qu’on ouvrait, le bruit
des bottes et des éperons retentit par les escaliers ; il se faisait un
grand murmure de voix qui allaient se rapprochant, et au milieu
desquelles il lui semblait entendre prononcer son nom.
Tout à coup elle jeta un grand cri de joie et s’élança vers la porte, elle avait reconnu la voix de d’Artagnan."
Eugène-François Vidocq
Les Vrais Mystères de Paris
1844
"Des fenêtres de ce logement, qui fait partie d’une maison située sur
le point culminant du quartier le plus élevé de Paris, on découvre
toute la capitale et les campagnes environnantes, et l’on est si
rapproché du ciel que les mille bruits de la grande ville ne viennent
plus frapper les oreilles que comme un vague murmure."
Alexandre Dumas
Le Comte de Monte-Cristo
1846
"Presque au même instant un bruit sourd retentit dans l'escalier ; le
retentissement d'un pas pesant, une rumeur confuse de voix mêlées à un
cliquetis d'armes couvrirent les exclamations des convives, si
bruyantes qu'elles fussent, et attirèrent l'attention générale, qui se
manifesta à l'instant même par un silence inquiet. Le bruit s'approcha :
trois coups retentirent dans le panneau de la porte ; chacun regarda son
voisin d'un air étonné."
"Dantès entendit rouler et grincer du fond de son cachot tous ces
préparatifs, qui faisaient en haut beaucoup de fracas, mais qui, en
bas, eussent été des bruits inappréciables pour toute autre oreille que
pour celle d’un prisonnier, accoutumé à écouter, dans le silence de la
nuit, l’araignée qui tisse sa toile, et la chute périodique de la
goutte d’eau qui met une heure à se former au plafond de son cachot."
"... aucun bruit ne troublait le silence de la nuit, si ce n’est le
chant d’une chouette qui jetait son cri aigu et lugubre comme un appel
aux fantômes de la nuit."
"Le bruit d’un baiser innocent et perdu retentit, et Valentine s’enfuit sous les tilleuls.
Morrel écouta les derniers bruits de sa robe frôlant les charmilles, de ses pieds faisant crier le sable... "
"Villefort, de son cabinet, entendit les bruits successifs qui
constituent pour ainsi dire la vie de la maison : les portes mises en
mouvement, le tintement de la sonnette de Mme de Villefort qui appelait
sa femme de chambre, les premiers cris de l’enfant, qui se levait
joyeux comme on se lève d’habitude à cet âge.
Villefort sonna à son tour."
Honoré
de Balzac
Splendeurs et misères des courtisanes
1847
"Certaines portes entrebâillées se mettent à rire aux éclats. Il tombe
dans l’oreille de ces paroles que Rabelais prétend s’être gelées et qui
fondent. Des ritournelles sortent d’entre les pavés. Le bruit n’est pas
vague, il signifie quelque chose : quand il est rauque, c’est une voix
; mais s’il ressemble à un chant, il n’a plus rien d’humain, il
approche du sifflement. Il part souvent des coups de sifflet. Enfin les
talons de botte ont je ne sais quoi de provoquant et de moqueur. Cet
ensemble de choses donne le vertige."
Gustave
Flaubert
Par les champs et par les grèves
Bretagne
1847
"Par un beau jour d’été comme aujourd’hui, peut-être, quand ce moulin
qui claque sa cliquette et met en bruit tout le paysage n’existait pas,
quand il y avait des toits au haut de ces murailles, des cuirs de
Flandre sur ces parois, des lames de corne à ces fenêtres, moins
d’herbe, et des voix et des rumeurs de vivants, oui, là, plus d’un
cœur, serré dans sa gaine de velours rouge, a battu d’angoisse et
d’amour."
Charlotte
Brontë
Jane Eyre -
Traduction (1854) de Noëmi Lesbazeilles-Souvestre -
Tome 1 -
Tome 2
1847
"... j’écoutais le son du piano et de la harpe, le bruit des verres et
des porcelaines, au moment où l’on apportait les rafraîchissements dans
le salon. Quelquefois même, lorsque la porte s’ouvrait, le murmure
interrompu de la conversation arrivait jusqu’à moi."
"... le château changea d’aspect : il ne fut plus silencieux comme une
église ; toutes les heures on entendait frapper à la porte, tirer la
sonnette ou traverser la salle. Des voix nouvelles résonnaient
au-dessous de nous ..."
"... on entendit tout à coup des accords retentir dans le salon ; on y
avait transporté le piano ; nous nous assîmes toutes deux sur les
marches de l’escalier pour écouter. Une voix se mêla bientôt aux
puissantes vibrations de l’instrument. C’était une femme qui chantait,
et sa voix était pleine de douceur. Le solo fut suivi d’un duo et d’un
choeur ; dans les intervalles, le murmure d’une joyeuse conversation
arrivait jusqu’à nous. J’écoutai longtemps, étudiant toutes les voix et
cherchant à distinguer au milieu de ce bruit confus les accents de M.
Rochester, ce qui me fut facile ; puis je m’efforçai de comprendre ces
sons que la distance rendait vagues."
Emily
Brontë
Wuthering
Heights
Les Hauts de Hurle-Vent - Traduction (1925) de
Frédéric Delebecque
1847
"Les cloches de la chapelle de Gimmerton retentissaient encore ; le
bruit du ruisseau qui coulait moelleusement à pleins bords dans la
vallée venait caresser l’oreille, et remplaçait agréablement le murmure
encore absent du feuillage estival qui, autour de la Grange, étouffe la
musique de l’eau quand les arbres ont revêtu leur parure. À Hurle-Vent,
on entendait toujours cette musique dans les jours calmes qui suivaient
un grand dégel ou une période de pluie continue. Et c’est à Hurle-Vent
que Catherine pensait en écoutant : si tant est qu’elle pensât ou
qu’elle écoutât, car elle avait ce vague et lointain regard dont j’ai
déjà parlé, qui n’exprimait aucune perception des choses matérielles ni
par l’oreille ni par les yeux."
"On n’entendait dans la maison rien d’autre que les hurlements du vent,
qui secouait les fenêtres de temps en temps, le faible crépitement des
charbons et le bruit sec de mes mouchettes quand il m’arrivait de
raccourcir la mèche de la chandelle."
"Il disait que la manière la plus agréable de passer une chaude journée
de juillet était de rester couché depuis le matin jusqu’au soir sur un
talus de bruyère au milieu de la lande, à écouter comme dans un rêve le
bourdonnement des abeilles sur les fleurs, le chant des alouettes qui
planent bien haut au-dessus de votre tête, à regarder le ciel bleu sans
nuages et le soleil brillant d’un éclat implacable. Telle était sa plus
parfaite idée du bonheur céleste. La mienne était de me balancer dans
un arbre au vert feuillage bruissant, quand souffle un vent d’ouest et
que de beaux nuages blancs glissent rapidement dans le ciel ; quand non
seulement les alouettes, mais les grives, les merles, les linottes, les
coucous prodiguent de tous côtés leur musique ; ..."
Elias
Lönnrot
Kalevala
Le Kalevala - Traduction (1867) de Léouzon Le Duc
1849
"Les pierres bruissent, le sable grince, la route fuit, le
traîneau, le pied, les supports du traîneau craquent, les chaînes de
fer du joug résonnent, l'arc du collier oscille, les rênes frémissent,
les clochettes de cuivre carillonnent, tandis que l'étalon, le
vigoureux étalon bondit."
"... de loin , on entendit le bruit des rames battant contre les flancs de la carène.
... les bancs du navire craquèrent, ses courbes frissonnèrent ; les
avirons en bois de sorbier grincèrent ; leurs manches caquetèrent comme
des gelinottes , leurs palettes crièrent comme des coqs de bruyères ;
la proue chanta comme un cygne , la poupe croassa comme un corbeau, les
supports des rames gloussèrent comme des oies."
"Lorsqu'il joua dans sa maison, sa maison construite en bois de sapin,
le toit résonna dans ses hauteurs, la voûte du toit fit écho, le
plancher tressaillit, les portes mugirent, toutes les fenêtres
tremblèrent, les pierres du foyer dansèrent, la poutre en bois madré de
la cheminée oscilla."
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal
La cloche fêlée
1851
"Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !"
Jules Barbey d'Aurevilly
Une vieille maîtresse
1851
"Le coin du feu... On y alimente ses rêveries en entendant le grillon,
— cette cigale de l’âtre de l’homme, — qui chante dans la cendre
chaude, comme la cigale de l’été chante dans les blés brûlés de soleil,
— et plus loin, au dehors, derrière les remparts transparents des
fenêtres, les hurlements du vent du Nord dans les brisants de la
falaise, le flagellement de la vitre sous la pluie qui fume, et le
silence (car le silence s’entend) de la neige perpendiculaire, qui
tombe en paix des sommets du ciel, comme les duvets d’un cygne, plumé
par une main cachée dans les nues. Toutes ces musiques éoliennes de la
Nature soupirante ou gémissante bercent l’âme et l’endorment comme dans
un hamac d’harmonies."
"Ils n’entendaient — et même l’entendaient-ils ? — que le bruit du
feu
comprimé dans le poêle, et de temps en temps, — quand le vent les leur
apportait, — les sons douloureux d’une cloche lointaine, qui sonnait
pour les morts."
Charles Baudelaire
L’Art romantique
1852
"Sans doute, plusieurs personnes regretteront de ne pas trouver
dans ces chants politiques et guerriers tout le bruit et tout l’éclat
de la guerre, tous les transports de l’enthousiasme et de la haine, les
cris enragés du clairon, le sifflement du fifre pareil à la folle
espérance de la jeunesse qui court à la conquête du monde, le
grondement infatigable du canon, les gémissements des blessés, et tout
le fracas de la victoire, si cher à une nation militaire comme la
nôtre."
George Sand
Histoire de ma vie Livre I -
Livre II -
Livre III -
Livre IV
1855
"La nuit, j’écoutais les rumeurs lointaines et confuses de la grande
cité qui venaient comme un râle expirant se mêler aux bruits rustiques
du faubourg. Dès que le jour paraissait, les bruits du couvent
s’éveillaient et couvraient fièrement ces mourantes clameurs. Nos coqs
se mettaient à chanter, nos cloches sonnaient matines ; les merles du
jardin répétaient à satiété leur phrase matinale ; puis les voix
monotones des religieuses psalmodiaient l’office et montaient jusqu’à
moi à travers les couloirs et les mille fissures de la masure sonore.
Les pourvoyeurs de la maison élevaient dans la cour, située en
précipice au dessous de moi, des voix rauques et rudes qui
contrastaient avec celles des nonnes ; et enfin l’appel strident de
l’éveilleuse Marie-Josèphe courant de chambre en chambre et faisant
grincer les verrous des dortoirs, mettait fin à ma contemplation
auditive."
Gustave
Flaubert
Madame Bovary
1856
"Les bruits de la ville insensiblement s’éloignaient, le roulement des
charrettes, le tumulte des voix, le jappement des chiens sur le pont
des navires."
"Elle entendait le battement de la pendule, le bruit du feu, et
Charles, debout près de sa couche, qui respirait."
"Toutes sortes de bruits joyeux emplissaient l’horizon : le
claquement d’une charrette roulant au loin dans les ornières, le cri
d’un coq qui se répétait ou la galopade d’un poulain que l’on voyait
s’enfuir sous les pommiers."
Charles Baudelaire
Chant d’automne - Les Fleurs du mal
1857
"J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
...
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ."
George
Sand
La Ville noire
1860
"... j’entends cliqueter les barres de fer sur les chariots, tous ces
bruits qui fendent la tête et qui n’empêchent pas l’artisan de
réfléchir et même de rêver..."
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal
Obsession
1860
"Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.
Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amer
De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes,
Je l’entends dans le rire énorme de la mer."
Charles Baudelaire
Les Paradis artificiels
1860
"La maison était vaste, et l’absence de meubles et de tapisseries la
rendait plus sonore ; le fourmillement des rats remplissait de bruit
les salles et l’escalier."
"... et, pendant qu’immobile il la regardait, un vent solennel s’éleva
et se mit à souffler violemment, « le vent le plus mélancolique,
dit-il, que j’aie jamais entendu ». Bien des fois, depuis lors, pendant
les journées d’été, au moment où le soleil est le plus chaud, il a ouï
s’élever le même vent, « enflant sa même voix profonde, solennelle,
memnonienne, religieuse. » C’est, ajoute-t-il, le seul symbole de
l’éternité qu’il soit donné à l’oreille humaine de percevoir. Et trois
fois dans sa vie il a entendu le même son, dans les mêmes
circonstances, entre une fenêtre ouverte et le cadavre d’une personne
morte un jour d’été."
Jules
Michelet
La Mer
1861
"Elle grinçait d'écume blanche, et comme d'exécrables sourires, à la
férocité des laves qui, sans pitié, la brisaient. C'étaient des bruits
insensés, absurdes ; jamais rien de suivi ; c'étaient des tonnerres
discordants, de si aigres sifflements comme ceux des machines à vapeur,
qu'on se bouchait les oreilles. Abasourdi d'un spectacle qui hébétait
tous les sens, j'essayai de me ravoir..."
Charles Dickens
Great Expectations
Les Grandes Espérances - Traduction (1896) de Charles Bernard-Derosne
1861
"J’entendis Saint-Paul et toutes les églises de la Cité, les unes
avant, les unes en même temps, les autres après, sonner cette heure. Le
son luttait contre le vent, qui l’entrecoupait, et j’écoutais cette
lutte, quand soudain j’entendis des pas dans l’escalier."
"Pendant toute cette scène j’avais cru entendre plutôt le vent
et la pluie que mon interlocuteur ; maintenant encore je ne
pouvais séparer sa voix de leurs voix, quoique celles-ci se fissent
entendre et que la sienne gardât le silence."
"... les voix extraordinaires qui se dégagent du silence nocturne
commencèrent à se faire entendre. Le cabinet murmurait, la cheminée
soupirait, le petit lavabo craquait, et une corde de guitare vibrait de
temps à autre dans la commode."
Victor
Hugo
Les Misérables
1862
Deuxième partie Cosette
"Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le
grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement
alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des
cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle
farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue
file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la
crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois
mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! toute
cette
cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un
tremblement de terre."
"Tout était retombé dans le silence. Plus rien dans la rue, plus rien
dans le jardin. Ce qui menaçait, ce qui rassurait, tout s’était
évanoui. Le vent froissait dans la crête du mur quelques herbes sèches
qui faisaient un petit bruit doux et lugubre."
Quatrième partie L’idylle rue Plumet et l’épopée rue
Saint-Denis
"Il entendait derrière lui, au-dessous de lui, sur les deux bords de la
rivière, les laveuses des Gobelins battre leur linge, et, au-dessus de
sa tête, les oiseaux jaser et chanter dans les ormes. D’un côté le
bruit de la liberté, de l’insouciance heureuse, du loisir qui a des
ailes ; de l’autre le bruit du travail. Chose qui le faisait rêver
profondément, et presque réfléchir, c’étaient deux bruits joyeux."
"Le bruit des portes qu’on ouvre et qu’on ferme, le grincement des
grilles sur leurs gonds, le tumulte du corps de garde, les appels
rauques des guichetiers, le choc des crosses de fusil sur le pavé des
cours, arrivaient jusqu’à lui."
"Il y avait à peine au loin quelques rares roulements de voitures. On
écoutait, sur le pas des portes, les rumeurs, les cris, les tumultes,
les bruits sourds et indistincts, des choses dont on disait : C’est la
cavalerie, ou : Ce sont des caissons qui galopent, les clairons, les
tambours, la fusillade, et surtout ce lamentable tocsin de Saint-Merry.
On attendait le premier coup de canon."
Cinquième partie Jean Valjean
"Çà et là, par intervalles, quand le vent donnait, on entendait
confusément des cris, une rumeur, des espèces de râles tumultueux qui
étaient des fusillades, et des frappements sourds qui étaient des coups
de canon. Il y avait de la fumée au-dessus des toits du côté des
halles. Une cloche, qui avait l’air d’appeler, sonnait au loin.
Ces enfants ne semblaient pas percevoir ces bruits."
"Le ciel s’offrait de toutes parts comme un calme énorme. La rivière
arrivait à ses pieds avec le bruit d’un baiser. On entendait le
dialogue aérien des nids qui se disaient bonsoir dans les ormes des
Champs-Élysées."
Théophile Gautier
Le capitaine Fracasse
1863
"Mille petits bruits, imperceptibles chuchotements de la solitude, qui
rendent le silence plus sensible, inquiétaient l’oreille et l’esprit du
visiteur assez hardi pour pénétrer jusque-là. Les souris grignotaient
faméliquement quelques bouts de laine à l’envers de la basse lisse. Les
vers râpaient le bois des poutres avec un bruit de lime sourde, et
l’horloge de la mort frappait l’heure sur les panneaux des boiseries."
"La lampe saisie par l’atmosphère humide grésillait et jetait des
lueurs intermittentes, le vent poussait des soupirs d’orgue à travers
les couloirs, et des bruits effrayants et singuliers se faisaient
entendre dans les chambres désertes.
Le temps était devenu mauvais, et de larges gouttes de pluie, poussées
par la rafale, tintaient sur les vitres secouées dans leurs mailles de
plomb. Quelquefois le vitrage semblait près de ployer et de s’ouvrir,
comme si l’on eût fait une pesée à l’extérieur. C’était le genou de la
tempête qui s’appuyait sur le frêle obstacle. Parfois, pour ajouter une
note de plus à l’harmonie, un des hiboux nichés sous la toiture
exhalait un piaulement semblable au cri d’un enfant égorgé, ou,
contrarié par la lumière, venait heurter à la fenêtre avec un grand
bruit d’ailes."
"Quoique l’heure fût avancée, il entendait vaguement bruire autour de
lui ce murmure sourd d’une grande ville qui, de même que l’Océan, ne se
tait jamais alors même qu’elle semble reposer. C’était le pas d’un
cheval, le roulement d’un carrosse s’éteignant dans le lointain ;
quelque chanson d’ivrogne attardé, quelque cliquetis de rapières
froissées l’une contre l’autre, un cri de passant assailli par les
tire-laine du Pont-Neuf, un hurlement de chien perdu ou toute autre
rumeur indistincte. Parmi ces bruits, Sigognac crut distinguer dans le
corridor un pas d’homme botté marchant avec précaution comme s’il ne
voulait pas être entendu."
"Aussi la pauvre Isabelle tressaillait-elle au plus léger bruit. Le
murmure de l’eau, un soupir du vent, un craquement de la boiserie, une
crépitation du feu lui faisaient perler dans le dos des sueurs froides."
"... elle aperçut une grande porte à deux battants dont elle tourna le
bouton, et qui s’ouvrit devant elle avec un craquement de bois et un
grincement de gonds dont le bruit lui parut égal à celui du tonnerre,
encore qu’il fût impossible de l’entendre à trois pas. La faible clarté
de la lampe grésillant dans l’air humide d’un appartement longtemps
fermé ..."
"Toutes sortes de petits bruits inexplicables s’y produisent
inopinément. Un meuble craque, l’horloge de la mort frappe ses coups
secs contre la boiserie, un rat passe derrière la tenture, une bûche
piquée des vers éclate dans le feu comme un marron d’artifice et vous
réveille avec transes au moment même où vous alliez vous assoupir."
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal
Le jet d’eau
1865
"Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu’il m’est doux, penché vers tes seins,
D’écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins !
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour."
Jules Verne
Les Aventures du capitaine Hatteras
1866
"Le craquement ininterrompu des glaces, se joignant aux gémissements du
navire, formait un bruit triste qui tenait du soupir et de la plainte."
"L’oreille surexcitée percevait dans le grondement général des bruits
particuliers, non pas le brouhaha qui accompagne la chute des corps
pesants, mais bien le craquement clair des corps qui se brisent ; on
entendait distinctement des fracas nets et francs, comme ceux de
l’acier qui se rompt, au milieu des roulements allongés de la tempête."
"L’atmosphère s’emplissait des bruits sourds du volcan ; la montagne
résonnait et ronflait comme une chaudière bouillante ; on sentait ses
flancs frissonner."
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal
Les Bijoux
1866
"La très chère était nue, et, connaissant mon coeur,
Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière."
Victor
Hugo
Les Travailleurs de la mer
1866
"Les vents courent, volent, s’abattent, finissent, recommencent,
planent, sifflent, mugissent, rient ; frénétiques, lascifs, effrénés,
prenant leurs aises sur la vague irascible. Ces hurleurs ont une
harmonie. Ils font tout le ciel sonore. Ils soufflent dans la nuée
comme dans un cuivre, ils embouchent l’espace, et ils chantent dans
l’infini, avec toutes les voix amalgamées des clairons, des buccins,
des oliphants, des bugles et des trompettes, une sorte de fanfare
prométhéenne. Qui les entend écoute Pan. Ce qu’il y a d’effroyable,
c’est qu’ils jouent."
"La rumeur du large, éteinte, ressemblait à un souffle d’enfant.
On entendait dans la direction du havre de Saint-Sampson de petits
coups sourds, qui étaient des coups de marteau."
"Tout orage est précédé d’un murmure. Il y a derrière l’horizon
chuchotement préalable des ouragans.
C’est là ce que, dans l’obscurité, au loin, par-dessus le silence
effrayé de la mer, on entend.
Ce chuchotement redoutable, Gilliatt l’avait entendu. La
phosphorescence avait été le premier avertissement ; ce murmure, le
second."
Fiodor Dostoïevski
Преступление и наказание
Crime et Châtiment - Traduction (1944) de Léon Brodovikoff
1866
"Soudain Raskolnikov se mit à trembler comme une feuille : il avait
reconnu la voix de celui qui criait ainsi : c’était celle d’Ilia
Pètrovitch : c’était lui qui battait la logeuse ! Il lui donnait des
coups de pied, cognait sa tête contre les marches — on l’entendait
distinctement aux bruits, aux cris, aux chocs ! Qu’est-ce donc ? Le
monde a-t-il chaviré ? On entend, à tous les étages, dans tout
l’escalier, s’amasser la foule ; on entend des voix, des exclamations ;
les gens montent, bruyants, claquent des portes, accourent. « Mais pour
quelle raison, pourquoi ? ...»"
Emile Zola
Thérèse Raquin
1867
"La maison était pleine de cris, de chansons, de bruits de vaisselle ;
dans chaque cabinet, dans chaque salon, il y avait des sociétés qui
parlaient haut, et les minces cloisons donnaient une sonorité vibrante
à tout ce tapage. Les garçons en montant faisaient trembler
l’escalier."
Élisée
Reclus
Histoire
d'un ruisseau
1869
"Descendant, descendant toujours, le ruisseau, qui grossit
incessamment, devient aussi plus tapageur : près de la source, il
murmurait à peine ; même, en certains endroits, il fallait coller son
oreille contre terre pour entendre le frémissement de l'eau contre ses
rives et la plainte des brins d'herbe froissés ; mais voici que le petit
courant parle d'une voix claire, puis il se fait bruyant, et quand il
bondit en rapides, et s'élance en cascatelles, son fracas réveille déjà
les échos des roches et de la forêt. Plus bas encore, ses cascades
s'écroulent avec un bruit tonnant, et même dans les parties de son
cours où son lit est presque horizontal le ruisseau mugit et gronde
contre les saillies des berges et du fond. Il ne poussait d'abord que
de petits grains de sable ; puis, devenu plus vigoureux, il mettait en
mouvement des cailloux ; maintenant il roule dans son lit des blocs de
pierre qui s'entre-choquent avec un sourd fracas, il mine à la base les
parois de rocher qui le bordent, fait ébouler les terres et les
pierrailles, et déracine parfois les arbres qui l'ombragent."
Gustave
Flaubert
L’éducation sentimentale
1869
"Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient
un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits
paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un
tour, le marteau d’un savetier ; ..."
"La foule innombrable parlait très haut ; et toutes ces voix,
répercutées par les maisons, faisaient comme le bruit continuel des
vagues dans un port. À de certains moments, elles se taisaient ; alors,
la Marseillaise s’élevait."
"De temps en temps, une estafette passait au grand galop, puis le
silence recommençait. Des canons en marche faisaient au loin sur le
pavé un roulement sourd et formidable ; le cœur se serrait à ces bruits
différant de tous les bruits ordinaires. Ils semblaient même élargir le
silence, qui était profond, absolu, un silence noir. "
Lautréamont
Les Chants de Maldoror
1869
"Le vent sifflait avec fureur des quatre points cardinaux, et mettait
les voiles en charpie. Les coups de tonnerre éclataient au milieu des
éclairs, et ne pouvaient surpasser le bruit des lamentations qui
s’entendaient sur la maison sans bases, sépulcre mouvant."
Victor
Hugo
L'Homme qui rit
1869
"Coups d'ongle, coups de bec, croassements, arrachements de lambeaux
qui n'étaient plus de la chair, craquements de la potence, froissements
du squelette, cliquetis des ferrailles, cris de la rafale, tumulte, pas
de lutte plus lugubre."
Arthur Rimbaud
Le Forgeron
1870
"La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant, comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,"
Jules Verne
Vingt Mille Lieues sous les mers
1871
"Puis la nuit se fit, au milieu d’un lourd silence que rompaient
parfois le cri du pélican et de quelques oiseaux de nuit, le bruit du
ressac irrité par les rocs ou le gémissement lointain d’un steamer
battant les eaux du golfe de ses pales sonores."
"Puis, sur cette nature désolée, un silence farouche, à peine rompu par
le battement d’ailes des pétrels ou des puffins. Tout était gelé alors,
même le bruit."
Emile Zola
La Fortune des Rougon
1871
"À certains moments, il lui semblait qu'ils ne marchaient plus, qu'ils
étaient charriés par la Marseillaise elle-même, par ce chant rauque aux
sonorités formidables. Elle ne pouvait distinguer les paroles, elle
n'entendait qu'un grondement continu, allant de notes sourdes à des
notes vibrantes, aiguës comme des pointes qu'on aurait, par saccades,
enfoncées dans sa chair. Ce rugissement de la révolte, cet appel à la
lutte et à la mort, avec ses secousses de colère, ses désirs brûlants
de liberté, son étonnant mélange de massacres et d'élans sublimes, en
la frappant au cœur, sans relâche, et plus profondément à chaque
brutalité du rythme, lui causait une de ces angoisses voluptueuses de
vierge martyre se redressant et souriant sous le fouet. Et toujours,
roulée dans le flot sonore, la foule coulait."
Jules Barbey d'Aurevilly
Les Diaboliques
1874
"Tout à coup, dans l’épaisseur de ce bois noir où je ne voyais goutte
de lumière ni n’entendais goutte de bruit, voilà qu’il m’en arriva un à
l’oreille que je pris pour celui d’un battoir, – le battoir de quelque
pauvre femme, occupée le jour aux champs, et qui profitait du clair de
lune pour laver son linge à quelque lavoir ou à quelque fossé... Ce ne
fut qu’en avançant vers le château, qu’à ce claquement régulier se mêla
un autre bruit qui m’éclaira sur la nature du premier. C’était un
cliquetis d’épées qui se croisent, et se frottent, et s’agacent. Vous
savez comme on entend tout dans le silence et l’air fin des nuits,
comme les moindres bruits y prennent des précisions de distinctibilité
singulière ! J’entendais, à ne pouvoir m’y méprendre, le froissement
animé du fer.
...
On entendait les épées comme si on les avait vues. Ce que j’avais pris
pour le bruit des battoirs c’étaient les appels du pied des tireurs. "
"On s’entendait mieux qu’on ne se voyait. Toutes ces bouches qui
priaient à voix basse, dans ce grand vaisseau silencieux et sonore, et
par le silence rendu plus sonore, faisaient ce susurrement singulier
qui est comme le bruit d’une fourmilière d’âmes, visibles seulement à
l’œil de Dieu. Ce susurrement continu et menu, coupé, par intervalles,
de soupirs, ce murmure labial, – si impressionnant dans les ténèbres
d’une église muette, – n’était troublé par rien, si ce n’est, parfois,
par une des portes des bas-côtés, qui roulait sur ses gonds et claquait
en se refermant derrière la personne qui venait d’entrer ; – le bruit
alerte et clair d’un sabot qui longeait l’orée des chapelles ; – une
chaise qui, heurtée dans l’obscurité, tombait ; – et, de temps en
temps, une ou deux toux, de ces toux retenues de dévotes qui les
musiquent et qui les flûtent, par respect pour les saints échos de la
maison du Seigneur. Mais ces bruits qui n’étaient que le passage rapide
d’un son, n’interrompaient pas ces âmes attentives et ferventes dans le
train-train de leurs prières et l’éternité de leur susurrement."
Arthur RimbaudFairy -
Les Illuminations
1875
"Après le moment de l’air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous
la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l’écho des vals, et
des cris des steppes."
Victor
Hugo
L'art d'être grand-père
1877
I. À Guernesey
XI Fenêtres ouvertes
"Le matin – En dormant
J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.
Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre.
Cris des baigneurs. Plus près ! plus loin ! non, par
ici !
Non, par là ! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi.
Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle
Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle.
Grincement d'une faux qui coupe le gazon.
Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison.
Bruits du port. Sifflement des machines chauffées.
Musique militaire arrivant par bouffées.
Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci.
Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici
Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge.
Vacarme de marteaux lointains dans une forge.
L'eau clapote. On entend haleter un steamer.
Une mouche entre. Souffle immense de la mer."
Jules
Vallès
L'Enfant
1878
"On ne distingue que la cloche du couvent de Sainte-Marie, et le bruit
que fait un attelage à grelots dans la route blanche, là-bas..."
"Le bruit que font les étriers en se cognant au moment où l’on apporte
les selles, le clic-clac des cuirs, le rongement du mors, j’ai encore
cela dans l’oreille, avec le nom de Baptiste, le garçon d’écurie."
"... dans cette salle vraiment lugubre ce jour-là, à cause du silence
écrasant, du bruit mélancolique que fait un soulier qui passe, une
porte qui tombe, un fredon solitaire, un cri de marchand bien loin,
bien loin !"
"C’est un bruit de casseroles et d’assiettes, puis un bruit de
mâchoires, puis un bruit de bouchons !"
Joris-Karl Huysmans
Les sœurs Vatard
1879
"L’on entendait le crépitement de l’eau sur les vitres, le hoquet des
ruisseaux, les plaintes sourdes des plombs obstrués, les roulades de
gorges des tuyaux trop pleins et l’averse ruisselait sur les pavés,
s’acharnait sur les tuiles, ravivait l’ocre pâli des murs, les tachant
de plaques plus foncées, dégoulinant tantôt avec un fracas d’avalanche,
tantôt avec un grésillement de friture au feu."
"Un son de trompe courut, se répercuta, s’affaiblit et de nouveau
brama, d’intervalles en intervalles. Les gardiens fermaient les
barrières du passage à niveau, un train de grande ligne s’avançait au
loin. Un renâclement farouche, un cri strident, trois fois répété,
déchira la nuit, puis deux fanaux, semblables à d’énormes yeux,
coururent sur le rail qui miroita, à mesure que le train roulait. La
terre trembla et, dans une buée blanche, tisonnée d’éclairs, dans une
rafale de poussière et de cendre, dans un éclaboussement d’étincelles,
le convoi jaillit avec un épouvantable fracas de ferrailles secouées,
de chaudières hurlantes, de pistons en branle ; il fila sous la fenêtre,
son grondement de tonnerre s’éteignit, l’on n’aperçut bientôt plus que
les trois lanternes rouges du dernier wagon, et alors retentit le bruit
saccadé des voitures sautant sur les plaques tournantes."
Henri Céard
Les Soirées de Médan -
La saignée
1879
"Tout à coup, sous ses pieds le sol trembla, secoué par des détonations
successives : les oreilles lui tintèrent douloureusement. À sa droite,
à sa gauche, une lueur immense courut, l’amphithéâtre des collines
s’alluma des lueurs d’un immense incendie, un épouvantable fracas de
mitraille éclata, des projectiles sifflèrent. Dans Paris, soudainement
éclairé, des obus éclataient de place en place. C’était le
bombardement. Les bordées suivaient, calmes, réglées, mathématiques,
tandis que là-bas, Paris, dans une immobilité cataleptique, ne
ripostait pas. Rien ! Pas un coup de fusil aux avant-postes, pas un
coup de canon aux bastions. Si bien que, dans les intervalles de
silence, on entendait comme des écroulements de maisons, distinctement."
Guy
de Maupassant
Les Soirées de Médan -
Boule de Suif
1879
"Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier
des litières ; et une voix d’homme parlant aux bêtes et jurant
s’entendait au fond du bâtiment. Un léger murmure de grelots annonça
qu’on maniait les harnais ; ce murmure devint bientôt un frémissement
clair et continu, rythmé par le mouvement de l’animal, s’arrêtant
parfois, puis reprenant dans une brusque secousse qu’accompagnait le
bruit mat d’un sabot ferré battant le sol.
La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois gelés s’étaient tus ; ils demeuraient immobiles et roidis.
... et l’on n’entendait plus, dans le grand silence de la ville calme
et ensevelie sous l’hiver, que ce froissement vague, innommable et
flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit,
entremêlement d’atomes légers qui semblaient emplir l’espace, couvrir
le monde."
Émile Zola
Les Soirées de Médan -
L’attaque du moulin
1880
"Un lourd silence se faisait. Dans la cour, à l’ombre des hangars, les
soldats s’étaient mis à manger la soupe. Aucun bruit ne venait du
village, dont les habitants avaient tous barricadé leurs maisons,
portes et fenêtres. Un chien, resté seul sur la route, hurlait. Des
bois et des prairies voisines, pâmés par la chaleur, sortait une voix
lointaine, prolongée, faite de tous les souffles épars. Un coucou
chanta. Puis, le silence s’élargit encore.
Et, dans cet air endormi, brusquement, un coup de feu éclata."
Gustave
Flaubert
Bouvard et Pécuchet
1881 (Edition posthume)
"Des filets d’eau en tombaient sans discontinuer, pendant que la mer au
loin, grondait. Elle semblait parfois suspendre son battement ; – et on
n’entendait plus que le petit bruit des sources."
"Un roastbeef parut – et durant quelques minutes on n’entendit que le
bruit des fourchettes et des mâchoires, avec le pas des servants sur le
parquet et ces deux mots répétés : Madère ! Sauterne !"
Guy
de Maupassant
La Maison Tellier
1881
"Ce silence illimité des champs, qui semble presque religieux,
enveloppait le petit village, un silence tranquille, pénétrant et large
jusqu’aux astres."
Joris-Karl Huysmans
En ménage
1881
"Il y eut un instant de silence. Ils marchaient lentement, côte à côte,
quand minuit sonna. Deux horloges entremêlaient leurs coups ; l’une, au
loin, vibrait doucement, en retard d’une seconde sur l’autre ; la plus
proche découpait, nettement, presque gaiement son heure.
La rue que les deux jeunes gens suivaient était déserte et leurs pas retentissaient avec un bruit clair sur le trottoir."
"Dans cette rue silencieuse, malgré sa navette ininterrompue de monde,
dans cette chaussée où l’on entendait le roulement mou des fiacres sur
l’asphalte, certains jours de la semaine, un homme se promenait, coiffé
d’un melon de cuir noir, orné de ciseaux peints en blanc, une petite
caisse retenue sur l’épaule par une bretelle, chantant sur un mode
lugubre : v’là le tondeur, tond les chiens, coupe les chats et va-t-en
ville ! – À d’autres moments, un « o vitrie » s’élevait prolongeant sa
note stridulée ou bien un repasseur, roulant devant lui sa petite
meule, remuait à chaque pas une sonnette, accompagnée, au loin, par
l’aigre solo qu’un fontainier jouait sur une corne.
Le mardi, vers quatre heures, un bruit nouveau dominait les autres. Des
voitures particulières emportant dans leurs caisses des flots de
toilettes claires, s’arrêtaient devant un petit hôtel à un étage,
contigu à la maison où logeait André et un vigoureux coup de timbre
retentissait, annonçant les visites, suivi de près par le choc lourd
des vantaux qu’on referme.
André commençait à classer les rumeurs diverses qui montaient sous sa
terrasse. La vie singulière de la rue Cambacérès lui arrivait de moins
en moins confuse..."
"Un petit bruit sec de pas retentit bientôt au loin à des profondeurs
de cave, sur le dallage du vestibule, puis le bruit devenu presque
aussitôt plus sourd monta dans la cage de l’escalier, s’approchant,
accompagné d’un petit vibrement de rampe remuant sur ses barreaux et
d’un frou-frou de linge empesé ratissant les marches."
Guy
de Maupassant
En famille
1881
"La petite machine, attelée à son wagon, cornait pour écarter les
obstacles, crachait sa vapeur, haletait comme une personne essoufflée
qui court ; et ses pistons faisaient un bruit précipité de jambes de
fer en mouvement."
"Mais là-bas Paris bruissait dans une buée rouge. C’était une sorte de
roulement continu auquel paraissait répondre parfois au loin, dans la
plaine, le sifflet d’un train accourant à toute vapeur, ou bien fuyant,
à travers la province, vers l’Océan."
Emile Zola
Au Bonheur des Dames
1883
"... le rayon des soieries semblait dormir, au milieu d’un silence
frissonnant de chapelle. Le pas d’un commis, des paroles chuchotées, un
frôlement de jupe qui traversait, y mettaient seuls des bruits légers,
étouffés dans la chaleur du calorifère. Pourtant, des voitures
arrivaient : on entendait l’arrêt brusque des chevaux ; puis,
des portières se refermaient violemment.
Au-dehors, montait un lointain brouhaha, des curieux qui se
bousculaient en face des vitrines, des fiacres qui stationnaient sur la
place Gaillon, toute l’approche d’une foule."
"Et il ne se trompait plus aux bruits qui lui arrivaient du dehors,
roulements de fiacres, claquements de portières, brouhaha grandissant
de foule."
"Maintenant, la trépidation intérieure étouffait les bruits du
dehors ; on n’entendait plus ni le roulement des fiacres, ni le
battement des portières ; il ne restait, au-delà du grand murmure
de la vente, que le sentiment de Paris immense, d’une immensité qui
toujours fournirait des acheteuses. Dans l’air immobile, où
l’étouffement du calorifère attiédissait l’odeur des étoffes, le
brouhaha augmentait, fait de tous les bruits, du piétinement continu,
des mêmes phrases cent fois répétées autour des comptoirs, de l’or
sonnant sur le cuivre des caisses assiégées par une bousculade de
porte-monnaie, des paniers roulants dont les charges de paquets
tombaient sans relâche dans les caves béantes."
"La moquette rouge étouffait le bruit des pas, la voix haute et
lointaine du rez-de-chaussée se mourait, ce n’était plus que le murmure
discret, la chaleur d’un salon, alourdie par toute une cohue de femmes."
"Le bruit était assourdissant, des rires, des appels, des chocs de
vaisselle ; au vent des fenêtres, les bougies s’effaraient et
coulaient ; tandis que des papillons de nuit battaient des ailes,
dans l’air chauffé par l’odeur des viandes, et que traversaient de
petits souffles glacés."
"... sans arrêt, on entendait le grincement des treuils montant les
pierres de taille, le déchargement brusque des planchers de fer, la
clameur de ce peuple d’ouvriers, accompagnée du bruit des pioches et
des marteaux. Mais, par-dessus tout, ce qui assourdissait les gens,
c’était la trépidation des machines ; tout marchait à la vapeur,
des sifflements aigus déchiraient l’air ..."
"C’étaient un cliquetis grandissant de fourchettes, des glouglous de
bouteilles qu’on vidait, des chocs de verres reposés trop vivement, le
bruit de meule de cinq cents mâchoires solides broyant avec énergie. Et
les paroles, rares encore, s’étouffaient dans les bouches pleines."
Guy
de Maupassant
Une vie
1883
"On n’entendait plus aucun bruit que le murmure éloigné du flot contre
le galet et une vague rumeur de la terre glissant encore sur les
ondulations des vagues, mais confuse, presque insaisissable."
Robert
Louis Stevenson
Treasure
Island
L’île au trésor - Traduction (1926) de Déodat Serval
1883
"Les charbons qui s’éboulaient dans le fourneau de la cuisine, et
jusqu’au tic-tac de l’horloge, nous pénétraient de crainte. Le
voisinage s’emplissait pour nous de bruits de pas imaginaires ; ..."
"Mais on n’entendait aucun bruit suspect : rien que le léger clapotis
du ressac et le croassement des corbeaux dans le bois."
"Dans l’air silencieux et glacé je venais de percevoir un bruit qui fit
cesser mon cœur de battre : c’était le tapotement du bâton de l’aveugle
sur la route gelée. Le bruit se rapprochait. Nous retenions notre
souffle. Un coup violent heurta la porte de l’auberge ; nous entendîmes
qu’on tournait la poignée, et le verrou cliqueta sous les efforts du
misérable. Puis il y eut un long intervalle de silence, dedans comme
dehors. À la fin le tapotement reprit et, à notre joie indicible,
s’affaiblit peu à peu dans le lointain et s’évanouit tout à fait."
"Au loin sur le marigot avait éclaté un brusque cri de colère, aussitôt
suivi d’un second ; et puis vint un hurlement affreux et prolongé. Les
rochers de la Longue-Vue le répercutèrent en échos multipliés ; toute
la troupe des oiseaux de marais prit une fois de plus son essor et
assombrit le ciel dans un bruit d’ailes tumultueux ; et ce cri d’agonie
me résonnait toujours dans le crâne, alors que le silence régnait à
nouveau depuis longtemps et que la rumeur des oiseaux redescendants et
le tonnerre lointain du ressac troublaient seuls la touffeur de
l’après-midi."
"On n’entendait que le bruit lointain du ressac s’élevant de toutes
parts, joint au bourdonnement, dans la brousse, de myriades d’insectes.
Pas un être humain, pas une voile en mer ..."
Guy
de Maupassant
Yvette
1884
"C’était l’heure fraîche qui précède le jour, l’heure du grand sommeil,
du grand repos, du calme profond. Les bruits légers de la nuit
eux-mêmes s’étaient tus. Les rossignols ne chantaient plus ; les
grenouilles avaient fini leur vacarme ; seule, une bête inconnue, un
oiseau peut-être, faisait quelque part une sorte de grincement de scie,
faible, monotone, régulier comme un travail de mécanique."
"Puis, très loin, dans la campagne, elle écoutait les bruits dans la
nuit, les aboiements interrompus d’un chien, le cri court des crapauds,
le frémissement imperceptible des feuilles."
Paul
Verlaine
Jadis et Naguère
1884
Allégorie
"L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté,
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité."
Guy
de Maupassant
Promenade
1884
"Il entendait autour de lui, au-dessus de lui, partout, une rumeur
confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents,
une rumeur sourde, proche, lointaine, une vague et énorme palpitation
de vie : le souffle de Paris, respirant comme un être colossal."
Joris-Karl Huysmans
A rebours
1884
"Actuellement, il voulut vagabonder dans un surprenant et variable
paysage, et il débuta par une phrase, sonore, ample, ouvrant tout d’un
coup une échappée de campagne immense."
Mark Twain
Adventures of Huckleberry Finn
Les Aventures de Huckleberry Finn - Traduction (1948) de Suzanne Nétillard - Extrait
1884
"Les étoiles brillaient, les feuilles bruissaient si lugubrement dans
les bois ! Au loin, j’entendis un hibou hululer hou-hou, car quelqu’un
venait de mourir ; puis un engoulevent et un chien se mirent à hurler,
c’est que quelqu’un allait trépasser. Le vent essayait de me chuchoter
je ne sais quoi, et j’en frissonnais de peur. Là-bas, dans le bois, je
reconnus le bruit que font les fantômes quand ils veulent nous dire
pourquoi ils ont l’âme en peine et ne peuvent nous le faire comprendre.
Alors, ils ne trouvent plus le repos dans leur tombe, et, la nuit, ils
errent en gémissant."
Guy
de MaupassantLettre trouvée sur un noyé
1884
"Les crapauds jetaient leur cri monotone et
clair ; les grenouilles s’égosillaient dans les herbes des bords,
et le glissement de l’eau qui coule faisait autour de nous une sorte de
bruit confus, presque insaisissable, inquiétant, et nous donnait une
vague sensation de peur mystérieuse."
Arthur Rimbaud
Les Chercheuses de poux
1884
"Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux."
Guy
de Maupassant
L’horrible
1884
"On n’entendait rien autre chose dans la lueur terne du crépuscule
qu’un bruit confus, mou et cependant démesuré de troupeau marchant, un
piétinement infini, mêlé d’un vague cliquetis de gamelles ou de sabres."
Emile Zola
Germinal
1885
"Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que
ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient
une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort.
...
Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups
sourds, il n'y avait plus que le halètement des poitrines, le
grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la
pluie des sources."
Guy
de Maupassant
Bel-Ami
1885
"Il entendait dans toute cette vaste maison une rumeur confuse, ce
bruissement des grands restaurants fait du bruit des vaisselles et des
argenteries heurtées, du bruit des pas rapides des garçons adouci par
le tapis des corridors, du bruit des portes un moment ouvertes et qui
laissent échapper le son des voix de tous ces étroits salons où sont
enfermés des gens qui dînent."
"... et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de
bruits innombrables et différents, une rumeur sourde, proche,
lointaine, une vague et énorme palpitation de vie, le souffle de Paris
respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue."
Guy
de Maupassant
Mont-Oriol
1887
"Le murmure des voix montait, tantôt léger, à peine perceptible, tantôt
plus vif, une rumeur confuse de cris et de mouvements humains, mais
émiettée dans l’air, évaporée déjà, une sorte de poussière de bruit."
Joris-Karl Huysmans
En rade
1887
"Partout, en haut des collines, en bas du val, des gens fauchaient et,
le son portant loin, il entendait distinctement le bruit de soie, suivi
du tintement métallique de la sape coupant le blé. La vie du paysage
changeait selon les côtes."
"... plus bas le paysage était complètement désert, les paysans tapis,
les bestiaux rentrés; dans l’étendue de la plaine, en écoutant, l’on
n’entendait, au loin, sur des coteaux, que l’imperceptible aboiement
d’un chien."
"Ce silence inanimé, cet abandon qui lui avaient étreint le coeur, la
nuit, n’existaient plus ; la vie terminée de ces lieux que dénonçaient
des fenêtres sans rideaux ouvrant sur des corridors nus et des chambres
vides semblait prête à renaître ; il allait certainement suffire
d’aérer les pièces, de réveiller par des éclats de voix la sonorité
endormie de ces chambres pour que le château revécût son existence
arrêtée depuis des ans."
Guy
de Maupassant
Pierre et Jean
1887
"... il vit une barque de pêche qui rentrait, sans un bruit de voix,
sans un bruit de flot, sans un bruit d’aviron, doucement poussée par sa
haute voile brune tendue à la brise du large."
"Les heures sonnaient, l’une après l’autre, à la pendule de la salle à
manger, dont le timbre avait un son profond et grave, comme si ce petit
instrument d’horlogerie eût avalé une cloche de cathédrale. Elles
montaient, dans l’escalier vide, traversaient les murs et les portes,
allaient mourir au fond des chambres dans l’oreille inerte des
dormeurs."
"Et le bruit confus, proche et lointain des voix égrenées dans l’air
léger, les appels, les cris d’enfants qu’on baigne, les rires clairs
des femmes faisaient une rumeur continue et douce, mêlée à la brise
insensible et qu’on aspirait avec elle."
Paul Verlaine
Parallèlement - Tantalized
1889
"L’aile où je suis donnant juste sur une gare,
J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu’on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c’est des bruits de nids répercutés
À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n’imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine.
Ô ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !"
Guy
de Maupassant
La main gauche
Boitelle
1889
"... et les petits, tout petits oisillons sautillants, rouges, jaunes,
bleus et bariolés, mêlant leurs cris au bruit du quai, apportent dans
le fracas des navires déchargés, des passants et des voitures, une
rumeur violente, aiguë, piaillarde, assourdissante, de forêt lointaine
et surnaturelle."
Guy
de Maupassant
Fort comme la mort
1889
"... et aucun autre bruit ne troublait le lourd silence que les cris
vifs et courts des hirondelles qui passaient sur le châssis ouvert, et
la longue rumeur confuse de Paris à peine entendue par-dessus les
toits."
"... on entendait dans cette paix nocturne un confus et continu murmure
de vie, mille bruits frêles dont l’harmonie ressemblait d’abord à du
silence.
Une caille, dans un pré voisin, jetait son double cri, ..."
Emile Zola
La Bête humaine
1890
"... du fond de ce lac d’ombre, des bruits arrivaient, des respirations
géantes, haletantes de fièvre, des coups de sifflet pareils à des cris
aigus de femmes qu’on violente, des trompes lointaines sonnant,
lamentables, au milieu du grondement des rues voisines. Il y eut des
ordres à voix haute ..."
"Que de monde ! encore la foule, la foule sans fin, au milieu du
roulement des wagons, du sifflement des machines, du tintement du
télégraphe, de la sonnerie des cloches !"
"Dans les premiers temps de son mariage, ces bruits violents de la
gare, coups de sifflet, chocs de plaques tournantes, roulements de
foudre, ces trépidations brusques, pareilles à des tremblements de
terre, qui la secouaient avec les meubles, l’avaient affolée. Puis, peu
à peu, l’habitude était venue, la gare sonore et frissonnante entrait
dans sa vie ; et, maintenant, elle s’y plaisait, son calme était
fait de cette agitation et de ce vacarme."
Guy
de Maupassant
Qui sait ?
1890
"Pendant ces premiers instants, je ne remarquai rien d’insolite autour
de moi. J’avais dans les oreilles quelques ronflements ; mais cela
m’arrive souvent. Il me semble parfois que j’entends passer des trains,
que j’entends sonner des cloches, que j’entends marcher une foule.
Puis bientôt, ces ronflements devinrent plus distincts, plus précis,
plus reconnaissables. Je m’étais trompé. Ce n’était pas le
bourdonnement ordinaire de mes artères qui mettait dans mes oreilles
ces rumeurs, mais un bruit très particulier, très confus cependant, qui
venait, à n’en point douter, de l’intérieur de ma maison.
Je le distinguais à travers le mur, ce bruit continu, plutôt une
agitation qu’un bruit, un remuement vague d’un tas de choses, comme si
on eût secoué, déplacé, traîné doucement tous mes meubles.
...
J’attendis, debout, écoutant toujours le bruit qui grandissait, qui
prenait, par moments, une intensité violente, qui semblait devenir un
grondement d’impatience, de colère, d’émeute mystérieuse."
Maurice Maeterlinck
Pelléas et Mélisande
1892
"Mélisande
Comme on est seul ici... on n'entend rien.
Pelléas
Il y a toujours un silence extraordinaire...
On entendrait dormir l'eau...
...
Pelléas
Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie ? C’est le bruit de la nuit ou le bruit du silence...
Entendez-vous la mer derrière nous ? – Elle ne semble pas heureuse cette nuit..."
Jules Renard
Les Histoires Naturelles
1894
"Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se rompt, bouleversé.
Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard, des pleins seaux d’eau de son puits ?
C’est l’âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu’à extinction, qu’il s’en fiche, qu’il s’en fiche."
"Au bout du toit de la grange, un pinson chante. Il répète, par
intervalles égaux, sa note héréditaire. À force de le regarder, l’oeil
trouble ne le distingue plus de la grange massive. Toute la vie de ces
pierres, de ce foin, de ces poutres et de ces tuiles s’échappe par un
bec d’oiseau.
Ou plutôt la grange elle-même siffle un petit air."
"Mais écoutez comme j’écoute.
Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d’or des morceaux de cristal ?
Qui peut me dire où l’alouette chante ?
Si je regarde en l’air, le soleil brûle mes yeux.
Il me faut renoncer à la voir.
L’alouette vit au ciel, et c’est le seul oiseau du ciel qui chante jusqu’à nous"
"La perdrix connaît la voix du laboureur, elle ne le redoute pas quand il crie ou qu’il jure.
Que la charrue grince, que le boeuf tousse et que l’âne se mette à braire, elle sait que ce n’est rien."
"D’où partent ce bruit vague, ce bêlement, ce son de cloche, ce cri humain ?
Il faut rentrer. Par une route déjà effacée, je retourne au village. Lui seul connaît son nom."
Marcel
Proust
Les Plaisirs et les Jours
1896
"Tout à coup il entendit un petit bruit argentin, imperceptible et
profond comme un battement de cœur. C'était le son des cloches d'un
village extrêmement éloigné, qui, par la grâce de l'air si limpide ce
soir-là et de la brise propice, avait traversé bien des lieues de
plaines et de rivières avant d'arriver jusqu'à lui pour être recueilli
par son oreille fidèle. C'était une voix présente et bien ancienne ;
maintenant il entendait son cœur battre avec leur vol harmonieux,
suspendu au moment où elles semblent aspirer le son, et s'exhalant
après longuement et faiblement avec elles. À toutes les époques de sa
vie, dès qu'il entendait le son lointain des cloches, il se rappelait
malgré lui leur douceur dans l'air du soir, quand, petit enfant encore,
il rentrait au château, par les champs."
"Tout d'un coup, un bruit léger s'éveilla longuement comme une
inquiétude, rapidement grandit, sembla rouler sur le bois. C'était le
frisson des feuilles froissées par la brise. Une à une je les entendais
déferler comme des vagues sur le vaste silence de la nuit tout entière.
Puis ce bruit même décrût et s'éteignit."
Paul Verlaine
Chair
1896
Vers sans rimes
"Le bruit de ton aiguille et celui de ma plume
Sont le silence d’or dont on parla d’argent.
Ah ! cessons de nous plaindre, insensés que nous fûmes,
Et travaillons tranquillement au nez des gens !
Quant à souffrir, quant à mourir, c’est nos affaires
Ou plutôt celles des toc-tocs et des tic-tacs
De la pendule en garni dont la voix sévère
Voudrait persévérer à nous donner le trac"
Bram Stoker
Dracula
Traduction (1963) de Lucienne Molitor
1897
"À l’abri sous les arbres et entouré du silence de la plaine
environnante, je n’entendais rien d’autre que le vent siffler au-dessus
de ma tête. L’obscurité qu’avait créée l’orage fut engloutie par
l’obscurité définitive de la nuit... Puis la tempête parut s’éloigner :
il n’y avait plus, par moments, que des rafales d’une violence extrême
et, chaque fois, j’avais l’impression que ce cri mystérieux, presque
surnaturel, du loup était répété par un écho multiple."
"Abrités de la sorte, nous entendions toutefois le vent siffler et
gémir entre ces rochers, et les branches des arbres s’agiter
violemment.
...
Le vent nous apportait encore des hurlements de chiens, encore qu’ils
nous parvinssent de plus en plus faibles à mesure que nous nous
éloignons. Mais, à entendre les loups, on eût dit, au contraire, qu’eux
se rapprochaient sans cesse, qu’ils finiraient par nous entourer
complètement."
"Peu avant dix heures, ce temps lourd devint réellement oppressant, et
le silence si profond que l’on entendait très distinctement, dans le
lointain, bêler un mouton ou aboyer un chien ; l’orchestre du port, qui
jouait si joyeusement ses airs français, semblait seul troubler ce
grand calme étendu sur toute la nature. Mais les douze coups de minuit
avaient sonné depuis quelques instants à peine qu’un bruit singulier se
fit entendre, comme venant du large et se rapprochant de plus en plus,
en même temps qu’un roulement encore sourd grondait au-dessus des
nuages"
André Gide
Les Nourritures terrestres
1897
"Mer informe et toujours agitée ; loin des hommes, tes flots se taisent
; rien ne s’oppose à leur fluidité ; mais nul ne peut entendre leur
silence ; sur la plus frêle chaloupe, déjà se heurtent-ils, et leur
bruit nous fait croire que la tempête est bruyante. Les grandes vagues
avancent et se succèdent sans aucun bruit."
"Je te parlerai des fenêtres encore : à Naples, des causeries sur les
balcons, des rêveries, le soir, près des robes claires des femmes ; les
rideaux à moitié retombés nous isolaient de la société bruyante du bal.
Il y eut des paroles échangées, d’une si désolante délicatesse qu’après
on restait quelque temps sans parler ; puis montait du jardin
l’intolérable parfum des fleurs d’orangers, et le chant des oiseaux des
nuits d’été ; et puis ces oiseaux mêmes, par instants, se taisaient ;
alors on entendait très faiblement le bruit des vagues."
Jules Verne
Le secret de Wilhelm Storitz (version d’origine)
1898
"... et on entendait le bruit des chaises déplacées, le frou-frou des
robes, le piétinement de la foule tandis que les piécettes tombaient
dans la bourse des jeunes filles."
"Le moindre bruit dans les chambres, un craquement du plancher, une
persienne agitée par le vent, un gémissement de la girouette sur le
toit, le bourdonnement d’un insecte aux oreilles, le sifflement de la
brise par une porte ou une fenêtre mal fermée, tout paraissait suspect."
"La nuit se passa dans le roulement des wagons, dans leur trépidation
sur les rails, au milieu de cette monotonie bruyante, qui finit par
vous endormir même pendant les temps d’arrêt."
Louise Michel
La Commune
1898
"On entendait incessamment sur le parc de Neuilly grêler les balles à
travers les branches avec ce bruit des orages d’été que nous
connaissons si bien. L’illusion était telle qu’on croyait sentir
l’humidité tout en sachant que c’était la mitraille."
"Tous les trois ans dans les cyclones, les vents et la mer hurlent,
rauquent, mugissent les bardits de la tempête ; il semble alors que la
pensée s’arrête, et qu’on soit porté par les vents et les flots entre
la nuit du ciel et la nuit de l’océan.
... Le bruit formidable de l’eau qui se verse par torrents, les
souffles énormes du vent et de la mer, tout cela se réunit en un chœur
magnifique et terrible."
Arthur
Conan Doyle
The
Adventure of Black Peter
Peter le Noir
1904
"Nous nous étendîmes sous les arbres, attendant en silence. Tout
d’abord les derniers pas des passants attardés et les bruits des voix
dans le village égayèrent notre veille ; peu à peu ces sons
s’éteignirent et l’on n’entendit plus rien que, de temps en temps, les
heures qui sonnaient à l’église lointaine et le grésillement d’une
pluie fine qui tombait sur les arbres au-dessus de nos têtes.
La demie de deux heures se fit entendre ; c’était l’heure la plus
sombre de la nuit avant l’aurore. Tout à coup nous sautâmes en
entendant un cliquetis métallique près de la barrière. On était entré
dans l’avenue ; un silence se fit..."
Colette
L'Ingénue libertine
1909
"Le feu parle tout bas, la lampe à huile compte goutte à goutte les
secondes, Maman soupire. Sur la toile cirée de sa broderie – un grand
col pour Minne – l’aiguille, à chaque point, toque du bec. Dehors, les
platanes du boulevard Berthier ruissellent de pluie, et les tramways du
boulevard extérieur grincent musicalement sur leurs rails."
"Au pas léger de Minne, le plancher gémit. Si elle reste immobile, les
fauteuils empire s’étirent, craquent, éclatent, le bois du lit leur
répond. La maison desséchée et sonore pétille, comme travaillée d’un
sourd incendie. Debout depuis deux siècles dans le soleil et le vent,
sa charpente chaude gémit sans cesse, et on l’appelle, dans le pays, la
Maison Sèche."
"Pourtant, Minne s’est endormie, bercée par des roulements sourds et
doux... Un bref fracas l’éveille, suivi d’un coup de vent singulier,
qui
débute en brise chuchotante, s’enfle, assaille la maison qui craque
tout entière... Puis, un grand calme mort."
"Minne entend les arbres gémir... Un vacarme creux couvre leur plainte
;
le tonnerre sonne vide et faux, rejeté par les échos des petites
montagnes... « Ce n’est pas le même tonnerre qu’à Paris, songe Minne,
pliée en chien de fusil sur son lit découvert... J’entends la porte de
la
chambre de Maman... »"
"... un troupeau de moutons petits sabots secs criblant le sol,
bêlements en gamme disloquée, odeur caséeuse et pacifique... Minne
entend le souffle des chiens qui vont et viennent, frôle les rondes
croupes laineuses. Ils passent comme la grêle, et Minne peut croire un
instant qu’ils ont emporté avec eux tous les bruits de la nuit... Mais
un
train bout au loin, s’élance, rageur, crachant derrière lui une
mitraille de charbons rouges..."
"Cette nuit sans ombre, qui éveille, au cœur récalcitrant de Minne, une
sensibilité inconnue, résonne de tous les bruits du jour. Une musique
lointaine monte par bouffées, et sur l’escarpement de la route,
claquent des fouets, grincent des roues..."
"Dehors, les fouets claquent, les roues grincent comme à minuit, et
sous la terrasse vibrent des mandolines italiennes. Mais la muraille du
sommeil sépare Minne du monde vivant et, seul, le nasillement ailé de
la musique s’insinue jusqu’à son rêve pour l’agacer d’un bourdonnement
d’abeilles..."
Franz Kafka
Tagebücher
Journal - Traduction de Marthe Robert
1910
"Je suis assis dans ma chambre, c’est-à-dire au quartier général du
bruit de tout l’appartement. J’entends claquer toutes les portes, grâce
à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont
épargnés, j’entends même le bruit du fourneau dont on ferme la porte
dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe,
vêtu d’une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte les
cendres du poêle dans la chambre d’à côté, Valli demande à tout hasard,
criant à travers l’antichambre comme dans une rue de Paris, si le
chapeau de mon père a été bien brossé, un chut ! qui se veut mon allié
soulève les cris d’une voix en train de répondre. La porte de
l’appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d’une
gorge enrhumée, puis elle s’ouvre un peu plus en produisant une note
brève comme celle d’une voix de femme et se ferme sur une secousse
sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l’oreille. Mon père
est parti, maintenant commence un bruit plus fin, plus dispersé, plus
désespérant encore et dirigé par la voix des deux canaris."
Natsume Sôseki
La Porte - Traduction (1927) de Raymond Martinie
1910
"Depuis la fin de l’après-midi, au dehors, le vent, qui soufflait avec
vacarme, semblait être venu tout exprès de très loin pour assaillir la
maison.
De temps en temps, tout bruit cessait, et ces intervalles de silence
produisaient une impression encore plus triste que lorsque le vent
faisait rage. Sôsuke, les bras croisés, pensait qu’approchait doucement
la saison où commencent à tinter les cloches qui annoncent les
incendies."
"... en deux ou trois endroits différents cliquetaient les ciseaux au travail.
Sôsuke venait d’assister, au-dehors, à cette animation fébrile de la
rue qui évoque comme un effort fait par la foule des citadins pour
franchir cette froide époque et entrer le plus tôt possible dans la
saison printanière ; ce bruit que faisaient les ciseaux retentissait à
ses oreilles, comme l’écho d’une impatiente agitation."
"Au milieu du bruit du vent, mélangé à celui que faisait la voiture, le
cou contracté, il fixait toujours un même point. Lorsqu’il descendit,
son attention fut attirée par le vrombissement du vent dans les fils
télégraphiques qui étaient tendus au-dessus de sa tête ; ..."
Guillaume
Apollinaire
Alcools
1913
Le vent nocturne
"Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales
Les elfes rire au vent ou corner aux rafales"
Luigi Russolo
L'Arte dei rumori
L’art des bruits. Manifeste futuriste. - Traduction (1913)
1913
"Traversons ensemble une grande capitale moderne, les oreilles plus
attentives que les yeux, et nous varierons les plaisirs de notre
sensibilité en distinguant les borborygmes et les râles des moteurs qui
respirent avec une animalité indiscutable, la palpitation des soupapes,
le va-et-vient des pistons, les cris stridents des scies mécaniques,
les bonds sonores des tramways sur les rails, le claquement des fouets,
le clapotement des drapeaux. Nous nous amuserons à orchestrer
idéalement les portes à coulisses des magasins, le brouhaha des foules,
les tintamarres différents des gares, des forges, des filatures, des
imprimeries, des usines électriques et des chemins de fer souterrains."
Blaise Cendrars
La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
1913
"Rien n'y fait, j'entends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélémy
Les carillons rouillés de Bruges-La-Morte
Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York
Les campanes de Venise
Et les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j'étais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramophone grasseye une marche tzigane"
Colette
Les Heures longues
1914..1917
"Une surprenante rumeur mêle, dans cette rue villageoise, le pas des
chevaux, le halètement des automobiles de ravitaillement, les cris
d'hirondelle de cent enfants heureux, et la basse profonde du canon,
qui ne nous a pas quittés depuis ce matin, qui nous suit, assidu comme
le bruit du vent ou le ressac de la mer."
"... à la place Saint-Marc, où j'entends la présence d'une foule de
fantômes. Ne connaîtrais-je pas, privée soudain de la vue, la même
angoisse ? Car tous les bruits du jour résonnent ici : pas alertes, voix
de femmes et d'enfants, tintements de cuillères et de verrerie, mieux :
le son d'un bon orchestre, tout proche, qui joue, — sans rancune, — une
valse viennoise..."
Marcel
Proust
À la recherche du temps perdu
Du côté de chez Swann
1913
"Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l'avait heurté, suivi
d'une ample chute légère comme de grains de sable qu'on eût laissés
tomber d'une fenêtre au-dessus, puis la chute s'étendant, se réglant,
adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable,
universelle : c'était la pluie."
Le Côté de Guermantes
1920
"... une campagne étendue où, par les beaux jours, flotte si souvent
dans le lointain une sorte de buée sonore intermittente qui – comme un
rideau de peupliers par ses sinuosités dessine le cours d'une rivière
qu'on ne voit pas – révèle les changements de place d'un régiment à la
manoeuvre, que l'atmosphère même des rues, des avenues et des places a
fini par contracter une sorte de perpétuelle vibratilité musicale et
guerrière, et que le bruit le plus grossier de chariot ou de tramway
s'y prolonge en vagues appels de clairon ressassés indéfiniment, aux
oreilles hallucinées, par le silence."
"J'entendais le tic-tac de la montre de Saint-Loup, laquelle ne devait
pas être bien loin de moi. Ce tic-tac changeait de place à tout moment,
car je ne voyais pas la montre ; il me semblait venir de derrière moi,
de devant, d'à droite, d'à gauche, parfois s'éteindre comme s'il était
très loin. Tout d'un coup je découvris la montre sur la table. Alors
j'entendis le tic-tac en un lieu fixe d'où il ne bougea plus. Je
croyais l'entendre à cet endroit-là ; je ne l'y entendais pas, je l'y
voyais, les sons n'ont pas de lieu. Du moins les rattachons-nous à des
mouvements et par là ont-ils l'utilité de nous prévenir de ceux-ci, de
paraître les rendre nécessaires et naturels. Certes il arrive
quelquefois qu'un malade auquel on a hermétiquement bouché les oreilles
n'entende plus le bruit d'un feu pareil à celui qui rabâchait en ce
moment dans la cheminée de Saint-Loup, tout en travaillant à faire des
tisons et des cendres qu'il laissait ensuite tomber dans sa corbeille ;
n'entende pas non plus le passage des tramways dont la musique prenait
son vol, à intervalles réguliers, sur la grand-place de Doncières.
Alors, que le malade lise, et les pages se tourneront silencieusement
comme si elles étaient feuilletées par un dieu. La lourde rumeur d'un
bain qu'on prépare s'atténue, s'allège et s'éloigne comme un
gazouillement céleste. Le recul du bruit, son amincissement, lui ôtent
toute puissance agressive à notre égard ; affolés tout à l'heure par
des coups de marteau qui semblaient ébranler le plafond sur notre tête,
nous nous plaisons maintenant à les recueillir, légers, caressants,
lointains comme un murmure de feuillages jouant sur la route avec le
zéphir. On fait des réussites avec des cartes qu'on n'entend pas, si
bien qu'on croit ne pas les avoir remuées, qu'elles bougent
d'elles-mêmes et, allant au-devant de notre désir de jouer avec elles,
se sont mises à jouer avec nous. Et à ce propos on peut se demander si
pour l'Amour (ajoutons même à l'Amour l'amour de la vie, l'amour de la
gloire, puisqu'il y a, paraît-il, des gens qui connaissent ces deux
derniers sentiments) on ne devrait pas agir comme ceux qui, contre le
bruit, au lieu d'implorer qu'il cesse, se bouchent les oreilles ; et, à
leur imitation, reporter notre attention, notre défensive, en
nous-même, leur donner comme objet à réduire, non pas l'être extérieur
que nous aimons, mais notre capacité de souffrir par lui.
Pour revenir au son, qu'on épaississe encore les boules qui ferment le
conduit auditif, elles obligent au pianissimo la jeune fille qui jouait
au-dessus de notre tête un air turbulent ; qu'on enduise une de ces
boules d'une matière grasse, aussitôt son despotisme est obéi par toute
la maison, ses lois mêmes s'étendent au-dehors. Le pianissimo ne suffit
plus, la boule fait instantanément fermer le clavier et la leçon de
musique est brusquement finie ; le monsieur qui marchait sur notre tête
cesse d'un seul coup sa ronde ; la circulation des voitures et des
tramways est interrompue comme si on attendait un chef d'État. Et cette
atténuation des sons trouble même quelquefois le sommeil au lieu de le
protéger. Hier encore les bruits incessants, en nous décrivant d'une
façon continue les mouvements dans la rue et dans la maison,
finissaient par nous endormir comme un livre ennuyeux ; aujourd'hui, à
la surface de silence étendue sur notre sommeil, un heurt plus fort que
les autres arrive à se faire entendre, léger comme un soupir, sans lien
avec aucun autre son, mystérieux ; et la demande d'explication qu'il
exhale suffit à nous éveiller. Qu'on retire, au contraire, pour un
instant au malade les cotons superposés à son tympan, et soudain la
lumière, le plein soleil du son se montre de nouveau, aveuglant, renaît
dans l'univers ; à toute vitesse rentre le peuple des bruits exilés ;
on assiste, comme si elles étaient psalmodiées par des anges musiciens,
à la résurrection des voix. Les rues vides sont remplies pour un
instant par les ailes rapides et successives des tramways chanteurs.
Dans la chambre elle-même, le malade vient de créer, non pas, comme
Prométhée, le feu, mais le bruit du feu. Et en augmentant, en relâchant
les tampons d'ouate, c'est comme si on faisait jouer alternativement
l'une et l'autre des deux pédales qu'on a ajoutées à la sonorité du
monde extérieur."
Sodome et Gomorrhe
1921
"... j'entendis tout à coup, mécanique et sublime, comme dans Tristan
l'écharpe agitée ou le chalumeau du pâtre, le bruit de toupie du
téléphone."
La Prisonnière
1923 (Edition posthume)
"... je savais déjà le temps qu'il faisait. Les premiers bruits de la
rue me l'avaient appris, selon qu'ils me parvenaient amortis et déviés
par l'humidité ou vibrants comme des flèches dans l'aire résonnante et
vide d'un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier
tramway, j'avais entendu s'il était morfondu dans la pluie ou en
partance pour l'azur. Et peut-être ces bruits avaient-ils été devancés
eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui,
glissée au travers de mon sommeil, y répandait une tristesse
annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit
personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil
que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi
commençais à sourire et dont les paupières closes se préparaient à être
éblouies, un étourdissant réveil en musique."
"Certains beaux jours, il faisait si froid, on était en si large
communication avec la rue qu'il semblait qu'on eût disjoint les murs de
la maison, et chaque fois que passait le tramway, son timbre résonnait
comme eût fait un couteau d'argent frappant une maison de verre."
"J'écoutais cette murmurante émanation mystérieuse, douce comme un
zéphir marin, féerique comme ce clair de lune, qu'était son sommeil.
... son sommeil, au bord duquel je rêvais, avec une fraîche volupté
dont je ne me fusse jamais lassé et que j'eusse pu goûter indéfiniment,
c'était pour moi tout un paysage. Son sommeil mettait à mes côtés
quelque chose d'aussi calme, d'aussi sensuellement délicieux que ces
nuits de pleine lune dans la baie de Balbec devenue douce comme un lac,
où les branches bougent à peine, où, étendu sur le sable, l'on
écouterait sans fin se briser le reflux."
"Il y avait des jours où le bruit d'une cloche qui sonnait l'heure
portait sur la sphère de sa sonorité une plaque si fraîche, si
puissamment étalée de mouillé ou de lumière, que c'était comme une
traduction pour aveugles, ou si l'on veut, comme une traduction
musicale du charme de la pluie, ou du charme du soleil. Si bien qu'à ce
moment-là, les yeux fermés, dans mon lit, je me disais que tout peut se
transposer et qu'un univers seulement audible pourrait être aussi varié
que l'autre."
"... j'allai me mettre un instant à la fenêtre. Il y eut d'abord un
silence, où le sifflet du marchand de tripes et la corne du tramway
firent résonner l'air à des octaves différentes, comme un accordeur de
piano aveugle. Puis peu à peu devinrent distincts les motifs
entre-croisés auxquels de nouveaux s'ajoutaient. Il y avait aussi un
autre sifflet, appel d'un marchand dont je n'ai jamais su ce qu'il
vendait, sifflet qui, lui, était exactement pareil à celui d'un
tramway, et comme il n'était pas emporté par la vitesse on croyait à un
seul tramway, non doué de mouvement, ou en panne, immobilisé, criant à
petits intervalles, comme un animal qui meurt. Et il me semblait que,
si jamais je devais quitter ce quartier aristocratique – à moins que ce
ne fût pour un tout à fait populaire – les rues et boulevards du centre
(où la fruiterie, la poissonnerie, etc... stabilisées dans de grandes
maisons d'alimentation, rendraient inutiles les cris des marchands, qui
n'eussent pas, du reste, réussi à se faire entendre) me sembleraient
bien mornes, bien inhabitables, dépouillés, décantés de toutes ces
litanies des petits métiers et des ambulantes mangeailles, privés de
l'orchestre qui venait me charmer dès le matin.
...
Le ronflement d'un violon était dû parfois au passage d'une automobile,
parfois à ce que je n'avais pas mis assez d'eau dans ma bouillotte
électrique. Au milieu de la symphonie détonnait un « air » démodé :
remplaçant la vendeuse de bonbons qui accompagnait d'habitude son air
avec une crécelle, le marchand de jouets, au mirliton duquel était
attaché un pantin qu'il faisait mouvoir en tous sens, promenait
d'autres pantins et, sans souci de la déclamation rituelle de Grégoire
le Grand, de la déclamation réformée de Palestrina et de la déclamation
lyrique des modernes, entonnait à pleine voix, partisan attardé de la
pure mélodie : « Allons les papas, allons les mamans, contentez vos
petits enfants ; c'est moi qui les fais, c'est moi qui les vends, et
c'est moi qui boulotte l'argent. Tra la la la. Tra la la lalaire, tra
la la la la la la. Allons les petits ! » De petits Italiens,
coiffés
d'un béret, n'essayaient pas de lutter avec cet aria vivace, et c'est
sans rien dire qu'ils offraient de petites statuettes. Cependant qu'un
petit fifre réduisait le marchand de jouets à s'éloigner et à chanter
plus confusément, quoique presto : « Allons les papas, allons les
mamans. » Le petit fifre était-il un de ces dragons que j'entendais le
matin à Doncières ? Non, car ce qui suivait c'étaient ces mots : «
Voilà le réparateur de faïence et de porcelaine. Je répare le verre, le
marbre, le cristal, l'os, l'ivoire et objets d'antiquité. Voilà le
réparateur. »"
"Soudain j’éprouvai de nouveau la nostalgie de ma liberté perdue en
entendant un bruit que je ne reconnus pas d’abord et que ma grand’mère
eût, lui aussi, tant aimé. C’était comme le bourdonnement d’une guêpe
« Tiens, me dit Albertine, il y a un aéroplane, il est très haut,
très haut. » Je regardais tout autour de moi, mais je ne voyais, sans
aucune tache noire, que la pâleur intacte du bleu sans mélange.
J’entendais pourtant toujours le bourdonnement des ailes qui tout d’un
coup entrèrent dans le champ de ma vision. Là-haut, de minuscules
ailes brunes et brillantes fronçaient le bleu uni du ciel inaltérable.
J’avais pu enfin attacher le bourdonnement à sa cause, à ce petit
insecte qui trépidait là-haut, sans doute à bien deux mille mètres
de hauteur ; je le voyais bruire."
Le Temps retrouvé
1927 (Edition posthume)
"C’était l’époque où il y avait continuellement des raids de gothas
; l’air grésillait perpétuellement d’une vibration vigilante et
sonore d’aéroplanes français. Mais parfois retentissait la sirène
comme un appel déchirant de Walkyrie – seule musique allemande qu’on
eût entendue depuis la guerre – jusqu’à l’heure où les pompiers
annonçaient que l’alerte était finie tandis qu’à côté d’eux la
berloque, comme un invisible gamin, commentait à intervalles
réguliers la bonne nouvelle et jetait en l’air son cri de joie."
À la recherche du temps perdu (Texte intégral en une
seule page)
Guillaume Apollinaire
Le Poète assassiné
Le Roi-Lune
1916
"Mais les rumeurs lointaines qui provenaient du triste royaume des
ermitages me sollicitaient trop pour que je ne me laissasse point aller
au charme qui m’arrivait de la terre des Vêtements blancs et, écoutant
attentivement les murmures de l’aube, il me sembla entendre le bruit
des lavandières battant perpétuellement les linges et les costumes
virginaux et les chocs incessants des bâtons remplaçant le fer à
repasser, comme si c’était l’aube blanche elle-même qu’on lavait et
qu’on repassait."
Gaston
Leroux
Rouletabille chez Krupp
1917
"Au moment où le train entre en gare, le bruit de la ville devient de
plus en plus assourdissant ; au sifflet des locomotives et au tocsin
des tramways se sont joints tout à coup des hurlements de sirène, et
puis les coups de canon lointains venus du polygone.
Comme base à ce prodigieux vacarme, le bruit puissant et continu, le
halètement formidable des usines, la respiration monstrueuse de l’hydre
aux cinq cents gueules de flammes !..."
"Dans les ténèbres silencieuses de l’entrepont, que perce l’unique et
très précise lueur d’un falot, un craquement subit s’est fait entendre.
Et comme si le bruit, dans cette nuit muette, s’était étonné lui-même,
il s’est arrêté aussitôt... et puis il recommença d’être... mais cette
fois, hésitant, incertain et si peureux de ses échos qu’il finit par
expirer tout doucement, à bout de forces...
Enfin, tout à coup, il y eut dans la nuit, le sursaut brutal et rageur
d’un éclatement."
René Maran
Batouala
1921
"Et perdus en cet enthousiasme végétal, les oiseaux conjuguaient leurs
cris disparates, tandis que, faiblement, noirs dans le haut azur, des
charognards gémissaient, en planant.
Derrière la Pombo ou derrière la Bamba, quelqu’un chantait
—
Ehé... yaba... ho !
On devait travailler, quelque part, là-bas, toute chanson rythmant un effort.
La chanson monotone décomposait la quiétude ambiante. Lorsqu’elle
cessait, on n’entendait plus que le crépitement de la brousse séchée
par le soleil ou l’éclatement des siliques des tamariniers ; on ne
percevait plus que tous ces bruits menus dont est fait le silence. Puis
la chanson reprenait plus indistincte, là-bas..."
"Des bruits de pilon, on ne sait où, écrasent du manioc, du mil ou du
maïs. Le ronronnement des tam-tams anime des « yangbas », on ne sait
où. De distance en distance, des foyers s’allument. On devine les
cases, aux fumées. Suivant l’espèce, des crapauds flûtent, meuglent,
glapissent ou cliquettent. Djouma, le petit chien roux, aboie, aboie.
Quelle est cette stupeur ? D’où provient cette angoisse ?"
"Et pendant un long moment, on n’entendit plus que le zonzonnement des abeilles.
Elles avaient d’ailleurs déjà disparu depuis longtemps, qu’on les
croyait encore présentes, tant le frisselis de la brise entre les
feuilles donnait l’illusion de leur vol vrombissant.
Il ne faisait ni frais ni lourd.
Les « bokoudoubas » et les « golokotos » roucoulaient. Des villages
perdus sur les collines, des vallons abritant d’autres villages
provenaient et des chansons monotones, et le bruit des pilons écrasant
le manioc sec, ..."
"Rien n’échappait à ses oreilles : ni le ronflement de Bissi’ngalé ; ni
le sibilement des lézards margouillats nichés sous le chaume grouillant
de termites ; ni le zonzon des moustiques en quête de chair fraîche et
de sang chaud ; ni la douce chanson d’eau, tantôt proche, tantôt
lointaine, de la sinueuse Ouahmbélé, polissant et repolissant les
galets de son lit ou pourléchant ses rives fourrées de brousse ; ni le
murmure que le vent, truchement de l’infini, susurre aux herbes lourdes
de rosée ou chuchote en cachette aux arbres, qui jasent du matin au
soir en s’éventant de leurs feuilles ; ni le coassement des crapauds,
ni le crissement des cigales ; ni le cri des rapaces nocturnes épiant
les ténèbres ; ni cette grande rumeur odorante et opiniâtre,
frémissante et mystérieuse, cette immense rumeur unanime, qui semble
sourdre, la nuit, des vivantes profondeurs de la terre, et qui est
peut-être l’indicatif d’appel des végétaux en voie de germination, à
moins qu’elle ne soit celui qu’emploient les morts immémoriaux pour se
faire entendre de la brousse, qui les a nourris quelques jours et
qu’ils nourrissent maintenant pour l’éternité.
Youmba distinguait à merveille les uns des autres les bruits qu’elle
recevait en bloc. Elle les enregistrait, en quelque sorte, assignant à
chacun sa place exacte et sa signification précise."
Franz Kafka
Das Schloss
Le château - Traduction (1938) de Alexandre Vialatte
1922
"... on entendait des voix, des coups de marteau, des coups de
sonnette. Mais on n’avait pas l’impression d’une gaieté particulière.
Les voix étaient assourdies, c’est à peine si de loin on pouvait
comprendre un mot ; il ne semblait d’ailleurs pas qu’on eût affaire à
des conversations ; il s’agissait sans doute simplement de quelqu’un
qui dictait ou lisait quelque chose ; c’était précisément dans les
chambres d’où venaient des bruits de verres et d’assiettes que l’on
n’entendait pas un mot et les bruits de marteau faisaient songer à K.
qu’on lui avait raconté que bien des fonctionnaires, pour se distraire
de leur constante tension d’esprit, s’occupaient parfois de menuiserie,
de serrurerie, etc."
James
Joyce
Ulysses
1922
Ulysse - Traduction (1929) d’Auguste Morel, Valery
Larbaud, Stuart Gilbert et l’auteur
"De lourds canons-revolvers tonnent. Pandémonium. Les troupes se
déploient. Galop des sabots. Artillerie. Commandements rauques. Les
cloches retentissent. Les parieurs braillent. Les ivrognes vocifèrent.
Les putains ululent. Les sirènes huent. Clameurs des braves. Hurlements
des mourants. Des piques heurtent des cuirasses."
"La mer, le vent, les feuillages, le tonnerre, les eaux, les vaches qui
beuglent, le marché aux bestiaux, les coqs, les poules qui ne font pas
coquerico, les serpents qui szszszent. Il y a de la musique partout. La
porte de Ruttledge qui crie ii. Non, c’est du bruit. C’est le menuet de
Don Juan qu’il joue maintenant"
Ulysse - Traduction (2004) de Bernard Hoepffner
"Lourdes détonations des mitrailleuses Gatling. Pandémonium. Troupes se
déploient. Galop des sabots. Artillerie. Ordres rauques. Cloches
sonnent. Partisans crient. Ivrognes beuglent. Putains glapissent.
Cornes-brume mugissent. Cris de bravoure. Hurlements des mourants.
Piques et cuirasses s'entrechoquent."
Fernando
Pessoa
Livro do Desassossego
Le Livre de l'intranquillité - Traduction (1999) de
Françoise Laye
1913-1935
19
"Je m’aperçois brusquement que le bruit est beaucoup plus fort, que
beaucoup plus de monde existe. Les pas des piétons, plus nombreux, sont
moins pressés. Soudain, rompant cette absence, cette hâte moindre des
autres, surgit le pas rapide et agile des varinas, l’oscillation des
garçons boulangers aux corbeilles monstrueuses, et la similitude
divergente des marchandes de tout le reste ne se démonotonise que par
le contenu des paniers, où les couleurs se différencient plus que les
objets. Les laitiers entrechoquent, comme des clefs creuses et
absurdes, les bidons inégaux de leur métier ambulant."
Varinas : Marchandes de poisson qui portent leur corbeille sur la tête
42
"Les coups de marteau à la porte du menuisier résonnent avec une
étrangeté proche. Ils résonnent, largement espacés, chacun d’eux
éveillant un écho sans utilité. Le bruit des charrettes semble celui
d’un jour chargé d’orage. Les voix sortent de l’air, et non des
gosiers. Au loin, le fleuve se traîne fatigué."
43
"Je ne rêve pas dans un intervalle précis, mais je perçois, attentif,
et comme m’éveillant d’un sommeil où je n’aurais pas dormi, les
premières rumeurs de la vie de la ville, qui montent, comme une
inondation, de l’endroit vague, tout en bas, où se trouvent des rues
menant Dieu sait où. Ce sont des sons allègres, filtrés par la
tristesse de la pluie qui tombe, ou qui, peut-être, est déjà tombée —
car je ne l’entends pas pour l’instant... Rien d’autre que la grisaille
excessive des fentes de lumière qui avancent, parmi les ombres d’une
lueur incertaine, insuffisante pour cette heure de la matinée, que
j’ignore d’ailleurs. Ce sont des bruits allègres et dispersés et ils me
font mal, au fond du coeur, comme s’ils m’appelaient pour un examen ou
une exécution.
...
La rumeur du jour humain augmente soudain, comme le bruit d’une
sonnerie. Au fond de la maison claque doucement la serrure de la
première porte qu’on ouvre sur l’univers. J’entends des pantoufles dans
un couloir absurde, qui mène à mon coeur. Et d’un geste brusque, comme
un homme qui se tue enfin, j’arrache de mon corps dur les draps et les
couvertures du lit profond qui m’abrite. Je suis réveillé. Le bruit de
la pluie s’estompe là-haut, dans l’extérieur indéfini."
53
"Je peux à tout le moins me sentir triste, et être conscient du fait
que cette tristesse vient d’avoir croisé le bruit soudain (vu avec
l’ouïe) du tram qui passe, le brouhaha de voix des jeunes gens, la
rumeur oubliée de la ville bien vivante."
Rainer Maria Rilke
Les quatrains valaisans
1924
"Pays qui chante en travaillant,
pays heureux qui travaille ;
pendant que les eaux continuent leur chant,
la vigne fait maille pour maille.
Pays qui se tait, car le chant des eaux
n'est qu'un excès de silence,
de ce silence entre les mots
qui, en rythmes, avancent."
Georges
Simenon
Le Pendu de Saint-Pholien
1930
"... ce matin-là, l'air était vibrant, le devenait davantage à mesure
que le soleil montait dans le ciel. Et il y avait une cacophonie
savoureuse, des cris en patois wallon, la sonnerie aigre des tramways
jaune et rouge, le quadruple jet d'une fontaine monumentale surmontée
du perron liégeois qui tentait de dominer la rumeur du marché proche."
Georges
Simenon
Monsieur Gallet, décédé
1931
"Dehors, dans la verdure, s'élevait un murmure confus, intensément
vivant, fait de chants d'oiseaux, du bruissement du feuillage, du
bourdonnement des mouches et du caquet lointain de poules sur la route,
le tout scandé par les coups espacés du marteau sur l'enclume de la
forge."
Georges
Simenon
Le
Chien jaune
1931
"On entendait l'horloge de la vieille ville sonner les heures et les
demies. Les piétinements et les conciliabules cessèrent sur le
trottoir, et il n'y eut plus que la plainte monotone du vent, la pluie
qui battait les vitres."
Georges
Simenon
Le Fou de Bergerac
1932
"... du rythme de la vie qui, sur la grand-place, partant de la porte
ouverte par une ménagère, du bruit des roues d'une charrette, d'un
volet brusquement écarté, allait en s'amplifiant jusqu'à midi."
Georges
Simenon
L'Écluse numéro 1
1933
"Et sur le trottoir ce fut un bain de chaleur, de clarté, de bruit, de
poussière colorée et de mouvement, le tramway 13 s'arrêta et repartit
aussitôt. Le timbre du bistrot de droite résonna tandis que les
cailloux dégringolaient dans le moulin du concasseur et qu'un petit
remorqueur à triangle bleu sifflait tout ce qu'il pouvait, rageur,
devant la porte de l'écluse qu'on lui fermait au nez."
Albert
Camus
Noces - Le vent à Djémila
1937
"... il y régnait un grand silence lourd et sans fêlure – quelque chose
comme l’équilibre d’une balance. Des cris d’oiseaux, le son feutré de
la flûte à trois trous, un piétinement de chèvres, des rumeurs venues
du ciel, autant de bruits qui faisaient le silence et la désolation de
ces lieux. De loin en loin, un claquement sec, un cri aigu, marquaient
l’envol d’un oiseau tapi entre des pierres."
Raymond
Queneau
Chêne et Chien
1937
"Le voisin de droite éteint sa TSF,
le voisin de gauche arrête son phono,
la voisine d’en haut cesse de glapir,
la voisine d’en bas ferme son piano.
Les gens ne tirent plus sur la chasse d’eau,
l’ascenseur ne chahute plus dans sa cage,
les camions ne tonnent plus sur le pavé,
dans la rue se tait le klaxon des autos.
Sur le fleuve la sirène, et dans les gares
la locomotive, et partout la machine,
et la rumeur de la ville se dissout.
Le vent même ne fait plus bruire les arbres.
Personne ne crie personne ne parle et rien ne chante,
ni souffle, ni murmure, ni fracas,
mais quelque part il y a tant de bruit,
tant de hurlements, tant de bavardages, et qu’on n’entend pas."
Albert Camus
Carnets I
1939
"Tout se taisait. Le wagon vibrait doucement. Et si j'entendais
derrière les vitres les froissements de la nuit pluvieuse, je
l'entendais encore comme un silence."
Georges
Simenon
Les caves du Majestic
1942
"Un claquement de portière. C'était toujours le premier bruit de la
journée. Le moteur qui continuait à tourner, dehors. ... Puis le taxi
s'éloignait. Des pas. La clef dans la serrure et le déclic d'un
commutateur électrique.
Une allumette craquait dans la cuisine et le réchaud à gaz, en
s'allumant, laissait fuser un « pfffttt »."
Albert Camus
Carnets II
1942
"Bourdonnement sans chaleur des guêpes, le vent dans les feuilles, un
coq entêté à chanter derrière les collines, des aboiements creux, de
loin en loin un croassement de corneille."
Marguerite
Duras
Les impudents
1943
"Maud ouvrit la fenêtre et la rumeur de la vallée emplit la chambre. Le
soleil se couchait. Il laissait à sa suite de gros nuages qui
s'aggloméraient et se précipitaient comme aveuglés vers un gouffre de
clarté. Le « septième » où ils logeaient semblait être à une
hauteur vertigineuse. On y découvrait un paysage sonore et profond qui
se prolongeait jusqu'à la traînée sombre des collines de Sèvres. Entre
cet horizon lointain, bourré d'usines, de faubourgs et l'appartement
ouvert en plein ciel, l'air chargé d'une fine brume ressemblait,
glauque et dense, à de l'eau.
Maud resta un moment à la fenêtre, les bras étendus sur la rampe du
balcon, la tête penchée dans une attitude semblable à celle d'un enfant
oisif. Mais son visage était pâle et meurtri par l'ennui.
Lorsqu'elle se retourna vers la chambre et qu'elle ferma la fenêtre le
bruissement de la vallée cessa brusquement comme si elle avait fermé
les vannes d'une rivière."
Gaston Bachelard
L’Air et les Songes
1943
"... en quel sens doit-on dire qu'un son devient aérien ? C'est quand
il est à l'extrémité du silence, planant dans un ciel lointain — doux
et grand. Le paradoxe joue du petit au grand. C'est l'infiniment petit
du son, la pause de l'harmonie des fleurs qui ébranle l'infiniment
grand de l'univers parlant."
"Le vent s’excite et se décourage. Il crie et il se plaint. Il passe de
la violence à la détresse. Le caractère même des souffles heurtés et
inutiles peut donner une image d’une mélancolie anxieuse ..."
Louis Aragon
Aurélien
1944
"Dans le silence que ramena ce départ entre les deux hommes, on
entendit mieux, plus précisément, le tumulte du lieu, ce fond de bruits
si propice à l'isolement, avec le double chahut des conversations du
bar, et l'orchestre qui jouait un tango à côté, bruit des danseurs,
clameurs de gaité, et la voix de Lulli qui dans l'entrée criait par
moments: « Ollé ! Ollé ! » avec un geste approprié, histoire d'encourager
l'atmosphère espagnole."
Georges
Simenon
Maigret se fâche
1945
"La fenêtre grande ouverte laissait depuis longtemps pénétrer les
bruits du dehors, le caquet des poules qui grattaient le fumier dans
une cour, la chaîne d'un chien, les appels insistants des remorqueurs
et ceux, plus sourds, des péniches à moteur."
René Char
Sur les hauteurs
1947
"Abois d'un chien à la chaîne. ... Un arbre isolé. Passade des brises.
Dans l'arbre un oiseau rêve, pépie. Une fenêtre reste éclairée. On tire
un rideau rouge à l'intérieur. L'expressif monde nocturne : grillons,
chouettes, crapauds ; un renard glapit. Rien parfois : le silence, par
miracle."
Nathalie Sarraute
Portrait d'un Inconnu
1948
"On entend le claquement de la porte du bureau, puis le bruit de la clé dans la serrure. Il a fermé sa porte à clé.
Il se fait un grand silence dans l'entrée. Un grand silence et un grand
froid. On entend seulement le frôlement furtif du chiffon que la
concierge, pour se donner une contenance, promène le long du mur tandis
qu'elle redescend une marche ou deux prudemment. Et, venant de la
cuisine, le bruit aigu, arrogant, des assiettes que la bonne glisse
l'une sur l'autre, la tête légèrement penchée vers la porte
entrouverte. Des bruits dans ce silence, angoissants, menaçants comme
le son distant d'un tamtam."
Yasunari Kawabata
Le grondement de la montagne - Traduction (1969) de Sylvie Regnault-Gatier et Hisashi Suematsu
1949
"... mais déjà les insectes chantaient. On entendait aussi les gouttes de rosée tomber des fruits sur les feuilles.
Soudain le grondement de la montagne parvint jusqu'à Shingo.
...
Certaines nuits, au fond de la vallée de Kamakura, on perçoit la rumeur
des vagues ; Shingo se demanda s’il n’entendait pas la mer, mais non,
c’était bien le grondement de la montagne.
Il ressemble, ce grondement, à celui du vent lointain, mais c’est un
bruit d’une force profonde, un rugissement surgi du cœur de la terre.
Comme il semblait à Shingo qu’il ne résonnait peut-être que dans sa
tête et pouvait provenir d’un bourdonnement d’oreilles, il secoua le
chef.
Le bruit cessa.
Alors, Shingo fut effrayé.
Il frissonna comme si l’heure de sa mort lui avait été révélée.
Ce bruit du vent, ou ce bruit de la mer, ou ce bourdonnement
d’oreilles, Shingo crut y avoir réfléchi de sang-froid. Mais peut-être
n’avait-il pas retenti ?
Mais pourtant il a vraiment retenti, ce grondement de la montagne, comme si quelque démon l’avait fait résonner au passage."
Henri Michaux
Face aux verrous
L'espace aux ombres
1952
"Certaines (ombres) surtout se bandant une dernière fois, font un
effort désespéré pour « être dans leur seule unité ». Mal leur en
prend. J'en rencontrai une.
Détruite par châtiment, elle n'était plus qu'un bruit, mais énorme.
Un monde immense l'entendait encore, mais elle n'était plus, devenue
seulement, et uniquement un bruit, qui allait rouler encore des siècles
et destiné à s'éteindre
complètement, comme si elle n'avait jamais été."
Francis Ponge
La rage de l'expression
1952
"À quelle heure – très matinale – la grand coup de gong a-t-il été donné ?
Dont toute l’atmosphère vibre encore (sans déjà qu’aucun son ne se fasse plus entendre) et vibrera toute la journée ?
Le soleil trône - sur lequel il est impossible de maintenir le regard -
et ses tambourinaires l'entourent, les bras levés au-dessus de leurs
têtes.
...
Quelle autorité, quel poing irrésistible s’est abattu sur la tôle
nocturne pour éveiller les vibrations du jour, qui durera jusqu’à ce
qu’elles se rassoupissent ?
...
Un coup de poing irrésistible a été donné sur la tôle de la nuit, jusqu’à ce qu’elle
vibre au blanc. De très bonne heure ce matin. Et les vibrations vont s’amplifiant jusqu’à midi."
Samuel Beckett
En attendant Godot
1952
Vladimir. - Nous avons des excuses.
Estragon. - C'est pour ne pas entendre.
Vladimir. - Nous avons nos raisons.
Estragon. - Toutes les voix mortes.
Vladimir. - Ça fait un bruit d'ailes.
Estragon. - De feuilles.
Vladimir. - De sable.
Estragon. - De feuilles.
Silence.
Vladimir. - Elles parlent toutes en même temps.
Estragon. - Chacune à part soi.
Silence.
Vladimir. - Plutôt elles chuchotent.
Estragon. - Elles murmurent.
Vladimir. - Elles bruissent.
Estragon. - Elles murmurent.
Silence.
Vladimir. - Que disent-elles ?
Estragon. - Elles parlent de leur vie.
Vladimir. - Il ne leur suffit pas d'avoir vécu.
Estragon. - Il faut qu'elles en parlent.
Vladimir. - Il ne leur suffit pas d'être mortes.
Estragon. - Ce n'est pas assez.
Silence.
Vladimir. - Ça fait comme un bruit de plumes.
Estragon. - De feuilles.
Vladimir. - De cendres.
Estragon. - De feuilles.
Long silence.
Vladimir. - Dis quelque chose !
Estragon. - Je cherche.
Long silence.
Vladimir (angoissé) - Dis n'importe quoi !
Estragon. - Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Vladimir. - On attend Godot.
Alain Robbe-GrilletLes Gommes -
Extrait
1953
"il suggère différents bruits qui ont pu frapper l’oreille de la jeune
femme, à son insu : un coup de revolver, des pas précipités sur le
gravier, une porte qui claque, un moteur d’automobile..."
Aldous
Huxley
The Desert
Le désert - Traduction (1954) de Jules Castier
1954
"Et pourtant, malgré tout, le silence persiste. Car ce silence du
désert est tel, que les sons fortuits, et même le bruit systématique de
la civilisation, ne peuvent l’abolir. Ils coexistent avec lui, – à
titre de petites incohérences à angle droit par rapport à une
signification énorme, de veines de quelque chose d’analogue à de
l’obscurité dans une transparence persistante. De la terre irriguée
montent les bruits sombres et brutaux du bétail meuglant, et là-haut
les pluviers laissent traîner leurs filets de stridence qui vont
s’évanouissant. Soudain, l’on tressaille : voilà qu’éclate, derrière le
buisson d’armoises, un hurlement de coyotes – Trio pour Strige et Deux
Âmes Damnées. Sur le tronc des peupliers, sur les parois en bois des
granges et des maisons, les piverts font entendre des crépitements
pareils à ceux d’une perforeuse pneumatique. S’avançant péniblement
parmi les cactus et les buissons de créosote, on entend, semblables à
quelque minuscule mouvement d’horlogerie ronronnant, les soliloques
d’invisibles roitelets, les appels, au crépuscule, des engoulevents et
même, de temps à autre, la voix d’homo sapiens – six de l’espèce, dans
une Chevrolet parquée, écoutant le compte rendu, donné par la radio,
d’un combat de boxe, ou bien par couples, se câlinant à
l’accompagnement délicieux de Bing Crosby. Mais la lumière pardonne,
les distances oublient, et ce grand cristal de silence, dont la base
est large comme l’Europe et dont la hauteur est pratiquement infinie,
peut coexister avec des choses d’un ordre d’incohérence bien plus élevé
que du sentiment en boîtes ou du sport par personne interposée. Des
avions à réaction, par exemple – le silence est tellement massif qu’il
est capable d’absorber même des avions à réaction. Le fracas hurlant
s’enfle jusqu’à son maximum intolérable, puis s’efface, s’enfle à
nouveau tandis qu’un autre de ces monstres déchire l’air, diminue
encore une fois, et disparaît. Mais, même au fort de cet outrage
sonore, l’esprit peut encore garder conscience de ce qui l’entoure, de
ce qui l’a précédé et lui survivra."
Albert
Camus
L’Été
1954
"Et maintenant éveillé, je reconnaissais un à un les bruits
imperceptibles dont était fait le silence : la basse continue des
oiseaux, les soupirs légers et brefs de la mer au pied des rochers, la
vibration des arbres, le chant aveugle des colonnes, les froissements
des absinthes, les lézards furtifs. J’entendais cela, j’écoutais aussi
les flots heureux qui montaient en moi"
"À midi, sous un soleil assourdissant, la mer se soulève à peine,
exténuée. Quand elle retombe sur elle-même, elle fait siffler le
silence. Une heure de cuisson et l'eau pâle, grande plaque de tôle
portée au blanc, grésille. Elle grésille, elle fume, brûle enfin."
Hervé Bazin
L'huile sur le feu
1954
"Nous connaissons tous ici le sens de ce bruit de fond très différent
des crépitantes fureurs des débuts d’incendie. De toute part monte
cette rumeur puissante, continue, qui tient du ronflement d’hélice, du
grondement de la marée et qui est typique des grands sinistres parvenus
à ce qui est en quelque sorte leur âge mûr et campés sur une sérieuse
réserve de combustible."
"Le silence est d’une qualité rare, il refuse le bruit, et nos pas n’y
peuvent rien : ils se brisent contre lui, ils ne l’entament pas, ils ne
parviennent qu’à l’accentuer, à fournir une preuve de sa force et de sa
profondeur."
"Nature de tous les bruits, de tous les cris qui ont besoin de l’ombre
pour être ce qu’ils sont, depuis la frissonnante confidence de la
rainette jusqu’au cri terrifiant de la proie éventrée par un rapace
nocturne : à noter."
Léo
Malet
Des kilomètres de linceuls
1955
"Si les rues environnantes bourdonnaient de bruits de moteurs et du
cliquetis des machines à imprimer, on l’oubliait, dans l’escalier
vétusté que nous gravîmes jusqu’au second. Je sonnai à la porte de
l’appartement de Clo. Ce n’était pas une sonnette électrique. C’était
une cloche que l’on actionnait à l’aide d’un cordon assez usé, terminé
par un gland rouge. Le tintement brisa le silence, mourut lentement,
mais personne ne répondit."
Léo
Malet
Fièvre au Marais
1955
"J’entendis une porte se fermer dans le lointain, et ce fut le silence.
Un silence peuplé de mille bruits : le vent qui geignait, la pluie
qui crépitait, la pendule qui tictaquait, avec, parfois, d’étranges
vibrations, et mes oreilles qui bourdonnaient. "
"Deux ou trois fois, il me sembla entendre la corne caractéristique des
cars de police-secours, mais c’étaient des bruits que j’avais dans la
tête. J’avais beaucoup de bruits dans la tête. Et le Préfet de Police
avait interdit l’usage des klaxons. À un moment, pourtant, je ne fus
pas le seul à distinguer, naissant dans le lointain, et grossissant à
mesure qu’il s’approchait, le son d’une trompe sur deux tons. Les
pompiers. Les pompiers avaient le droit de se servir de l’avertisseur."
"À part ce bruit de respiration équivoque, aucun autre ne se percevait.
Le calme absolu enveloppait le quartier. Les fantômes eux-mêmes se
tenaient tranquilles, refusant de remuer leurs chaînes de peur qu’on
les prît pour des bimbelotiers en train de proposer l’article."
Léo
Malet
La nuit de Saint-Germain-des-Prés
1955
"Dans le silence brusquement tombé, une fourchette heurta une assiette.
Un glouglou de bouteille m’apprit que quelqu’un se versait a boire avec
nervosité. Avec un bruit doux de rôdeur, les dés roulèrent sur le
feutre du petit tapis vert. Il n’y en eut que pour le poste de radio
qui marchait en sourdine et le ronronnement soyeux du ventilateur."
"J’entendis le bruit que fit le combiné lorsqu’il le reposa sur son
burlingue. Des sons vagues, indistincts, suivirent. Le gardien se
débattait maintenant avec le téléphone intérieur. À mon oreille libre
parvenait le boucan de la cave, jazz et conversations mêlées."
"Calme et paisible, avec sa boutique de reliure d’art d’où ne
provenaient que des bruits feutrés. Calme, paisible et douce, en dépit
de ses murailles rébarbatives derrière lesquelles on avait peine à
croire que des gens vivaient. Le silence, rompu brusquement par des
gargouillis de radio qui cessèrent aussi vite qu’ils étaient nés. Le
silence, la douceur et le calme."
Léo
Malet
Les Rats de Montsouris
1955
"Se frayant péniblement un chemin à travers l’épaisse atmosphère
cotonneuse, le roulement d’un train de Montparnasse, cahotant à
l’aiguillage sur la voie proche, me parvint.
Aucun autre bruit ne troublait la gluante paix nocturne. Le vacarme du
train s’estompa dans la distance, ne fut plus bientôt qu’un murmure et
mourut sur un bref et lointain coup de sifflet."
"Le silence était la spécialité de la maison. Les bruits extérieurs
nous parvenaient assourdis : cris de gosses s’ébattant dans le
terrain vague et la virile chanson du travail sur la voie ferrée. Pour
la frime, je frappai aux deux portes qui donnaient sur le palier. Rien.
Aucun écho."
Vladimir Nabokov
Lolita
Traduction (2001) de Maurice Couturier1955
"Lorsque
je m’approchai de l’abîme accueillant, je commençai à percevoir une
mélodieuse harmonie de sons montant telle une vapeur d’une petite
ville minière qui s’étalait à mes pieds dans un repli de la vallée.
... Mais il y avait surtout cette incessante vibration vaporeuse de
sons superposés, plus éclatante encore que toutes ces couleurs qui
menaient douce fête – car il est des couleurs et des ombres qui
semblent se plaire en bonne compagnie –, à la fois plus éclatante et
plus douce à l’oreille que ces couleurs ne l’étaient à l’œil, et
elle montait jusqu’à la lèvre de granit où j’étais en train
d’essuyer ma bouche dégoutante. ... Lecteur ! Ce que j’entendais
là, c’était la mélodie que faisaient des enfants en train de jouer,
rien d’autre, et l’air était si limpide qu’à l’intérieur de cette
vapeur de voix entremêlées, majestueuse et infime, lointaine et
magnifiquement proche, candide et divinement énigmatique – on
entendait de temps à autre, comme libéré à dessein, l’éclat
presqu’articulé d’un rire enjoué, le claquement d’une batte, ou
encore le cliquetis d’un petit chariot d’enfant, mais tout cela était
trop éloigné pour que l’œil pût distinguer quelque mouvement que ce
fût dans la délicate eau-forte des rues."
Léo Malet
M'as-tu vu en cadavre
1956
"Et puis, j’entendis des cloches... toutes sortes de cloches... de
jeunes cloches et des moins jeunes... de pauvres vieilles cloches... de
très vieilles pauvres cloches.
Maintenant, une averse drue avait succédé au crachin. Ce que, dans mon
coma comac, je prenais encore pour le carillon Westminster du
tabassé-maison, n’était que le bruit de l’eau du ciel tambourinant sur
le couvercle d’une poubelle, le toit de la voiture et mon visage. "
"Sous mon poids, les marches déclives ne rendaient pas le même son que
lors de ma première visite clandestine et nocturne. Et ce n’était pas
parce qu’il y avait davantage de bruit ambiant. Le silence enveloppait
toujours la maison, qui paraissait inhabitée."
Léo
Malet
Pas de bavards à la Muette
1956
"Par la fenêtre ouverte, de rares bruits me parvenaient. Quelques
mesures musicales, sortant d’un appareil de radio et apportées par la
brise, glissaient jusqu’à moi sans me faire grand mal. Les autos qui
circulaient passaient en un froissement rapide. À intervalles
irréguliers, un grincement métallique s’élevait du chantier de
construction déserté : l’immense bras de la grue que le vent
devait pousser."
"Je fis quelque pas dans le silence paisible de ce coin de Paris, rendu
à ce moment à ses origines campagnardes, attentif au moindre bruit, au
plus ténu mouvement et, soudain, un crissement prolongé de freins fit
éclater ce silence en mille échos.
...
L’automobiliste et l’imprudent piéton échangèrent des invectives
sonores. Le silence, c’était le silence. Compact et tout, quand il
était de service. Mais si on le rompait, les responsables de cette
rupture en voulaient pour leur fric."
"À une heure, je ne dormais toujours pas et aucun bruit ne m’était
parvenu du couloir. Aucun bruit ne parvenait de nulle part. Intérieur
et extérieur étaient le domaine du silence. Pour me faire mentir –
comme si j’avais besoin de ça –, une quelconque horloge du voisinage
égrena le quart d’une heure. "
Léo
Malet
Brouillard au pont de Tolbiac
1956
"Du comptoir, nous parvenaient les bruits habituels : brouhaha des
conversations, verrerie heurtée et barouf d’un billard électrique
malmené par un gars qui ne jouait pas pour perdre et dont l’éventualité
du tilt ne ralentissait pas la fougue. Un juke-box fut mis en marche et
la voix de Georges Brassens, chantant Gare au gorille, domina le
tumulte."
Albert
Camus
L’Exil et le Royaume
1957
La Femme adultère
"L’air illuminé semblait vibrer autour d’eux ... comme si leur passage
faisait naître sur le cristal de la lumière une onde sonore qui allait
s’élargissant. ... il sembla à Janine que le ciel entier retentissait
d’une seule note éclatante et brève dont les échos peu à peu remplirent
l’espace au-dessus d’elle, puis se turent subitement pour la laisser
silencieuse devant l’étendue sans limites."
"Aucun souffle, aucun bruit, sinon, parfois, le crépitement étouffé des
pierres que le froid réduisait en sable, ne venait troubler la solitude
et le silence qui entouraient Janine"
La Pierre qui pousse
"Aussitôt, un grand silence frais tomba sur la piste et sur la forêt.
On entendit alors le bruit des eaux"
"Mais de l'autre rive montèrent des bruits de chaînes, et des clapotis
étouffés. ... le câble se tendit. Un grincement sourd commença de le
parcourir, en même temps que s’élevait du fleuve un bruit, à la fois
vaste et faible, d’eaux labourées. Le grincement s’égalisa, le bruit
d’eaux s’élargit encore, puis se précisa, en même temps que la lanterne
grossissait"
Léo
Malet
Casse-pipe à la Nation
1957
"Des petits pavillons, servant de burlingues aux négociants,
parviennent des sonneries de téléphone, de plus rares cliquetis de
machines à écrire. Des bruits plus spécifiquement vinicoles – tels que
martèlement de cercles de barriques, par exemple – sortent d’ateliers
de tonnellerie."
"J’attends. Avec, pour compagnons, les mille bruits constituant le
silence nocturne, le ronron berceur de la pluie, parfois l’aboi
lointain d’un chien, plus près de moi les craquements des vieux
meubles, j’attends."
Henri Bosco
Barboche
1957
"Le village en effet se sonnait ses huit heures et le faisait pour le
plaisir, posément. Il les détachait donc l’une de l’autre avec le souci
d’en jouir bien à son aise, et, de l’une à l’autre, vous donnait le
temps de vous demander : « Est-ce la dernière ? » Car, plus ce clocher
donnait d’heures, plus il ralentissait son débit, et ainsi on croyait
toujours qu’il avait fini de sonner. Mais, comme saisi de remords, il
ajoutait encore au dernier battement de sa cloche de bronze un
battement inattendu, d’un son si beau que vous désiriez qu’il en vînt
un autre... Même aux douze coups de minuit, on faisait malgré soi ce
voeu déraisonnable..."
Léo Malet
Micmac moche au Boul'Mich
1957
"De la place de la Contrescarpe, montaient des bruits apaisants, des
bruits produits par des citoyens heureux, inconscients de leur bonheur,
des citoyens à qui il n’arrivait pas de ces choses. Un crieur de
journaux passa, annonçant la dernière du
Crépuscule… Une auto klaxonna, en dépit des ordonnances de police… Un autobus démarra."
"Un cycliste isolé passa, dans un bruit soyeux de pneu. Travailleurs
nocturnes... Et encore des camions, descendant avec fracas le
Boul’Mich’, libre de tout trafic.
Le camion aux lourdes roues... Baudelaire.
Le vin de l’assassin. Une martyre.
Lentement, lentement, quelques flocons de neige dansèrent devant mes
yeux. L’un d’eux échoua dans le fourneau de ma pipe et fondit dans un
grésillement bref."
Gaston Bachelard
La poétique de l'espace
1957
"C'est plutôt le silence qui vient obliger le poète à l'écouter. Le
songe est alors plus intime. On ne sait plus où est le silence : dans
le vaste monde ou dans l'immense passé ? Le silence vient de plus loin
qu'un vent qui s'apaise, qu'une pluie qui s'adoucit. Dans un autre
poème, Milosz ne dit-il pas en un vers inoubliable :
« L'odeur du silence est si vieille... »
Ah ! de quels silences dans la vie vieillissante ne faut-il pas se souvenir !"
"En disant que la Forêt profonde s'appelle aussi « La Terre Tranquille,
à cause de (son) silence prodigieux, caillé en trente lieues de verdure
», Gueguen nous appelle à une tranquillité « transcendante », à un
silence « transcendant ». Car la forêt bruit, car la tranquillité «
caillée » tremble, frissonne, s'anime de mille vies. Mais ces bruits et
ces mouvements ne dérangent pas le silence et la tranquillité de la
forêt. Quand on vit la page de Gueguen, on sent que le poète a apaisé
toute anxiété. La paix de la forêt est pour lui une paix de l'âme. La
forêt est un état d'âme."
Léo
Malet
Les eaux troubles de Javel
1957
"Quelque part dans le secteur, une radio nasillarde, diffusant un
morceau de clavecin, essayait bien de créer un peu d’animation, mais le
cœur n’y était pas. Les bruits extérieurs me parvenaient lointains et
étouffés, comme s’ils se fussent produits à des kilomètres. Ce n’était
pourtant pas le cas. L’avenue Émile Zola était à une portée de chique.
Et c’était la rumeur des autos y circulant que j’entendais confusément,
ainsi que le grondement sourd du train de la ligne Versailles-Invalides, passant dans la tranchée, entre le quai de Javel
et la Seine, qui, elle, coulait doucement sous le pont Mirabeau, avec
un tas d’autres choses, si l’on en croit le poète."
Alain Robbe-Grillet
La Jalousie
1957
"Elle semble écouter le bruit, qui monte de toutes parts, des milliers
de criquets peuplant le bas-fond. Mais c’est un bruit continu, sans
variations, étourdissant, où il n’y a rien à entendre."
"Personne ne parle plus. Le bruit des criquets a cessé. On n'entend, çà
et là, que le cri menu de quelque carnassier nocturne, le vrombissement
subit d'un scarabée, le choc d'une petite tasse en porcelaine que l'on
repose sur la table basse."
"... peut-être A... guette-t-elle encore le bruit d'une voiture
descendant la pente depuis la grand-route. Mais par les fenêtres de la
salle à manger, dont l'une au moins est à demi ouverte, n'arrive aucun
ronronnement de moteur, ni autre bruit, à cette heure de la journée où
tout travail s'est interrompu et où les bêtes se taisent, dans la
chaleur."
Léo
Malet
Du rébecca rue des Rosiers
1958
"Comme la Seine, au-dessous de moi, et aussi silencieusement, l’eau ne
clapote pas. Elle coule inlassablement et sans bruit, en dépit de sa
crue. De temps à autre, un remous se produit et une barque tire sur sa
chaîne d’amarre qui grince. Des autos passent sur le pont Marie."
"Mais ici tout est silence, calme et profond sommeil. Pourquoi le
troubler ? Il me semble que si je n’étais pas seul, je ne pourrais
parler qu’à voix basse. Nul bruit, sauf le chantonnement d’une
gouttière, le martèlement monotone de l’averse sur la carrosserie de la
voiture – car, maintenant, il pleut vraiment –, la bagarre sourde, avec
son repas, du rat qui est revenu le terminer. Et même le camion
lourdement chargé, qui roule à vive allure sur les quais, communiquant
un tremblement aux pavés, on dirait qu’il passe loin, très très loin.
Plus loin encore que l’ivrogne dont la chanson hoquetée, rythmée par
ses zigzags, me parvient comme à travers deux épaisseurs de ouate des
profondeurs hostiles de la nuit."
Marguerite Duras
Moderato cantabile
1958
"... , le bruit de la mer entra par la fenêtre ouverte. Et avec lui,
celui, atténué de la ville au cœur de l’après-midi de ce printemps."
"Le bruit sourd de la foule s’amplifiait toujours, il devenait
maintenant si puissant, même à cette hauteur-là de l’immeuble, que la
musique en était débordée"
"La sirène retentit, énorme, qui s’entendit allègrement de tous les
coins de la ville et même de plus loin, des faubourgs, de certaines
communes environnantes, portée par le vent de la mer. Le couchant se
vautra, plus fauve encore sur les murs de la salle. Comme souvent au
crépuscule, le ciel s’immobilisa, relativement, dans un calme
gonflement de nuages, le soleil ne fut plus recouvert et brilla
librement de ses derniers feux. La sirène, ce soir-là, fut
interminable. Mais elle cessa cependant, comme les autres soirs."
Raymond Queneau
Zazie dans le métro
1959
"Là-dessus, elles demeurèrent silencieuses, penseuses, rêveuses. Le
temps coulait pas vite entre elles deux. Elles entendaient au loin,
dans les rues, les pneus se dégonfler lentement dans la nuit. Par la
fenêtre entrouverte, elles voyaient la lune scintiller sur le gril
d’une antenne de tévé en ne faisant que très peu de bruit."
Claude Simon
La Route des Flandres
1960
"... et tout ce qu'il percevait maintenant c'était le bruit, le
martèlement monotone et multiple des sabots sur la route se
répercutant, se multipliant (des centaines, des milliers de sabots à
présent) au point (comme le crépitement de la pluie) de s'effacer, se
détruire lui-même, engendrant par sa continuité, son uniformité, comme
une sorte de silence au deuxième degré, quelque chose de monumental: le
cheminement même du temps, c'est-à-dire invisible immatériel sans
commencement ni fin ni repère, et au sein duquel il avait la sensation
de se tenir, glacé, raide sur son cheval lui aussi invisible dans le
noir, ..."
Samuel Beckett
Oh ! les beaux jours
1963
"Quelquefois j’entends des bruits. (Expressions d’écoute. Voix normale)
Mais pas souvent. (Un temps.) Je les bénis, je bénis les
bruits, ils m’aident à...tirer ma journée. (Sourire.) Le vieux style !
(Fin du sourire.) Oui ce sont de beaux jours, les jours où il y a des
bruits. (Un temps.) Où j’entends des bruits. (Un temps.) Je pensais
autrefois..(un temps)...je dis, je pensais autrefois qu’ils étaient
dans ma tête. (Sourire.) Mais non. (Sourire plus large.) Non, non. (Fin
du sourire.) Ça, c’était la logique. (Un temps.) La raison. (Un temps.)
Je n’ai pas perdu la raison. (Un temps.) Pas encore. (Un temps.) Pas
toute. (Un temps.) Il m’en reste. (Un temps.) Des bruits. (Un temps.)
Comme des petits...effritements, des petits...éboulements."
Georges
Simenon
Maigret se défend
1964
"L'arrêt d'une voiture. Un léger crissement de freins. Des pas sur le
trottoir puis une sonnerie lointaine, étouffée. La petite porte qui se
refermait dans la grande. Des pas sur les pavés inégaux de la cour, la
porte vitrée qui s'ouvrait à son tour, l'escalier..."
Georges
Perec
Un homme qui dort
1967
"Quelqu'un va et vient dans la chambre voisine, tousse, traîne les
pieds, déplace des meubles, ouvre des tiroirs. Une goutte d'eau perle
continuellement au robinet du poste d'eau sur le palier. Les bruits de
la rue Saint-Honoré montent de tout en bas."
"Ton réveil sonne, tu ne bouges absolument pas, tu restes dans ton
lit, tu refermes les yeux. D'autres réveils se mettent à sonner dans
des chambres voisines. Tu entends des bruits d'eau, des portes qui se
ferment, des pas qui se précipitent dans les escaliers. La rue
Saint-Honoré commence à s'emplir de bruits de voitures, crissement
des pneus, passage des vitesses, brefs appels d'avertisseurs. Des
volets claquent, les marchands relèvent leurs rideaux de fer."
"Tu écoutes les bruits de la rue, la goutte d'eau au robinet du
palier, les bruits de ton voisin, ses raclements de gorge, les tiroirs
qu'il ouvre et ferme, ses quintes de toux, le sifflement de sa
bouilloire."
"Tu n'allumes pas la lumière et tu restes immobile, assis à la petite
table près de la fenêtre, le livre entre les mains, ne lisant plus,
écoutant à peine les bruits de la maison, le craquement des poutres,
des planchers, ton père qui tousse, les cercles de fonte mis en place
sur la cuisinière à bois, le bruit de la pluie sur les gouttières de
zinc, le très lointain passage d'une automobile sur la route, le coup
de klaxon du car de sept heures au tournant près de la colline."
"... les bruits toujours présents qui te relient seuls au monde : la
goutte d'eau qui perle au robinet du poste d'eau sur le palier, les
bruits de ton voisin, ses raclements de gorge, les tiroirs qu'il ouvre
et ferme, ses quintes de toux, le sifflement de sa bouilloire, les
bruits de la rue Saint-Honoré, le murmure incessant de la ville. De
très loin, la sirène d'une voiture de pompiers semble venir sur toi,
s'éloigner, revenir. Au croisement de la rue Saint-Honoré et de la
rue des Pyramides, l'alternance réglée des coups de frein, des
arrêts, des reprises, des accélérations, rythme le temps presque
aussi sûrement que la goutte inlassable, que le clocher de Saint-Roch."
"... la goutte d'eau ne tombe pas chaque seconde. Il est dix heures, ou
peut-être onze, car comment être sûr que tu as bien entendu, il est
tard, il est tôt, le jour naît, la nuit tombe, les bruits ne cessent
jamais tout à fait, le temps ne s'arrête jamais totalement, même s'il
n'est plus qu'imperceptible : minuscule brèche dans le mur du silence,
murmure ralenti, oublié, du goutte à goutte, presque confondu avec
les battements de ton coeur."
"Peut-être est-il comme toi, qui guettes sa toux, ses sifflements, ses
bruits de tiroir, peut-être le bruit de la tasse que tu reposes sur
l'étagère le froissement des journaux que tu prends et reprends, le
glissement des cartes que tu mets en place sur ta banquette étroite,
tes bruits d'eau, ton souffle, sont-ils pour lui, avec la goutte d'eau,
le clocher, les bruits de la rue, de la ville, l'épais tissu du temps
qui s'écoule, de la vie qui demeure."
Philip
K. Dick
Do Androids Dream of Electric Sheep ?
Blade Runner (Les androïdes rêvent-ils de moutons
électriques ?) - Traduction (1976) de Serge Quadrupanni
1968
"Silence. Les murs, le plancher, les boiseries suintaient de silence ;
de quoi le broyer comme une gigantesque meule. Le silence suintait du
parquet à travers la vieille moquette grise en lambeaux. Il suintait
des appareils cassés ou à demi cassés qui équipaient la cuisine, des
appareils qui n’avaient jamais fonctionné depuis l’emménagement
d’Isidore. Du grand lampadaire inutile de la salle de séjour, des
coulées de silence s’étalaient par nappes entières à la rencontre
d’autres coulées vides descendues du plafond constellé de chiures de
mouches. Le silence s’arrangeait, en fait, pour jaillir de partout
comme s’il avait voulu supplanter toutes choses. Ainsi ne se lançait-il
pas seulement à l’assaut des oreilles d’Isidore, mais encore de ses
yeux. Debout devant son récepteur de télé inerte, il eut soudain le
sentiment que le silence était visible et aussi, mais à sa manière,
vivant. Vivant ! Ce n’était pas la première fois, loin de là, qu’il
ressentait cette austère approche. Le silence entrait alors par
effraction, avec violence, sans aucune subtilité, incapable, à
l’évidence, de la moindre patience. Le silence du monde ne pouvait plus
retenir sa soif de tout engloutir. Plus maintenant. Maintenant qu’il
avait presque partie gagnée."
Georges
Perec
La disparition
1969
"Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un
glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin,
sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif
signalait un chaland qui passait."
Georges
Perec
Lieux
11. Contrescarpe, réel 1 - Juin 1969
"Le patron des « Cinq Billards » est à
sa porte et grommelle je ne sais quoi sans doute en rapport avec le
bruit sur le terre-plein.
Passe, dans un grand bruit, un camion portant publicité pour Alkali
saucisses de tortue.
Je descends la rue Mouffetard. Le « Club Félix » est ouvert (il
fonctionne encore veux-je dire) ; s’en échappent quelques bribes de
musique. Trois types me précèdent d’assez loin. Après le passage d’une
voiture, brusque calme. J’entends un chat qui miaule ; au 64 un bébé
qui pleure. Nulle lumière aux deux fenêtres des Martens (le contraire
m’aurait étonné). Musique filtrant du « Mouffe-Club »."
56. Choiseul, réel 3 - Avril 1971
"Grand silence
Il n’y a pas plus de dix personnes dans le passage
Bruit du ressemeleur tapant sur son enclume"
84. Franklin, réel 4 - Juin 1972
"Bruits :
crissement de pneus
les voitures
sifflets
klaxons rares
fermeture des portes d’autobus (bruits pneumatiques d’air comprimé) –
peut-être freinage ?
faibles cris de pigeons (genre de crouic)
voix (allemand ?)"
Roland Barthes
L'obvie et l'obtus Essais critiques III
1976
"... l’espace ménager, celui de la maison, de l’appartement (équivalent
approximatif du territoire animal) est un espace de bruits familiers,
reconnus, dont l’ensemble forme une sorte de symphonie domestique :
claquement différencié des portes, éclats de voix, bruits de cuisine,
de tuyaux, rumeurs extérieures... "
Nathalie Sarraute
Enfance
1983
"... je me laisse imprégner par cette lumière dorée, ces roucoulements,
ces pépiements, ces tintements des clochettes sur la tête des ânons,
des chèvres, ces sonneries des cerceaux munis d’un manche que poussent
devant eux les petits qui ne savent pas se servir d’un bâton..."
"... de là nous pouvions mieux entendre les bruits dans l’escalier, la
porte cochère qui se referme, les pas qui montent... ils s’arrêtent sur
le palier... la clef tâtonne dans la serrure, elle va tourner... Il
faut que je m’arrache à la joie d’écouter, ..."
Jean Echenoz
Lac
1989
"À travers les fenêtres fermées, le bruit de la ville lui parvenait
comme la sourdine d’un monstrueux piano répétitif, la main gauche de
l’artiste assurant, par accords continus, le bourdonnement grave des
rumeurs pendant que la droite improvisait sur les motifs cliquetants et
véloces, aigus et précis, fournis par les coups de parechoc ou de
klaxon dans la rue de Rome, les bris de glace de la miroiterie."
Lucien Bodard
Les dix mille marches
1991
"Une nuit noire est tombée, ouatant les rares lumières. La ville a
disparu et Pomme Bleue somnole bercée par un long chuintement
qu’interrompent parfois d’étranges bruits de succion, glissement éperdu
des roues sur la chaussée trempée, pieds du tireur de pousse-pousse
claquant dans les flaques."
Marguerite Duras
L’Amant de la Chine du Nord
1991
"Dans le premier livre elle avait dit que le bruit de la ville était si
proche qu’on entendait son frottement contre les persiennes comme si
des gens traversaient la chambre... On pourrait dire là aussi qu’on
reste dans l’ouvert de la chambre aux bruits du dehors qui cognent aux
volets, aux murs, au frottement des gens contre les persiennes. Ceux
des rires. Des courses et des cris d’enfants. Des appels des marchands
de glaces, de pastèque, de thé."
Jean Echenoz
Les Grandes Blondes
1995
"Après avoir happé tous les animalcules possibles dans la journée, les
crapauds digéraient à présent, chantant paisiblement en chœur. Pour
exécuter leur petit concert, ils se répartissaient en trois sections,
les uns reproduisant des piailleries de volatiles, les autres une
sirène de police et les troisièmes un émetteur de morse. Chœur
frénétique, simultané, sans un instant de répit, le morse et la police
à l’octave, le souffle grave du générateur tenant en même temps lieu de
basse continue et de diapason. Par-dessus les chorales batraciennes,
depuis les branches d’un arbre à pluie, quelque soliste ailé projetait
parfois un bref énoncé mélodique en contrepoint, quelques riffs en
tierce."
Pascal Quignard
La Haine de la musique
1996
"S’absenter de l’environ n’est pas possible pour l’ouïe. Il n’y a pas
de paysage sonore parce que le paysage suppose l’écart devant le
visible. Il n’y a pas d’écart devant le sonore."
Olga
Tokarczuk
Dom dzienny, dom nocny
Maison de jour, maison de nuit - Traduction de Maryla
Laurent
1998
"C'était un silence velouté, protecteur comme du polystyrène, agréable
au toucher et sec. Il était en soie."
"Du silence apparent émergèrent lentement les respirations des
dormeurs, d'abord des frôlements, des bruissements qui emplissaient mes
oreilles jusqu'a ce que je ne soit plus toute entière qu'une oreille,
réceptacle de chair, pavillon desséché, trompe d'Eustache humide,
collée aux parois.
... Les paupières s'agitaient, inquiètes, elles claquaient comme des
morceaux de viande jetés sur un sol froid ; le coeur des dormeurs
résonnait d'un son qui était plus lourd que l'air et filait aussitôt
sous terre. Les lits grinçaient au rythme du sommeil."
Antoine
Volodine
Dondog
2002
"Dans les profondeurs de la bâtisse, on entendait les moteurs des
pompes qui tiraient, vers les réservoirs du toit, l'eau venue des
puits. C'était une vibration régulière. Là-dessus se greffaient la
criaillerie d'un feuilleton télévisé, et les musiques et les voix de
quelques radios."
Olga
Tokarczuk
Bieguni
Les Pérégrins - Traduction de Grazyna Ehrard
2007
"Seuls me parviennent encore de faibles éclats de voix, l'écho de pas
trainants et des rires qui fusent au loin.
... le tumulte qui accompagne le déclin du jour s'apaise, se condense
et forme une peau épaisse, pareille à celle du lait chaud en train de
tiédir.
... Tous les sons se sont recroquevillés, ils ont frileusement rentrés
leurs cornes d'escargot ; le bruyant orchestre du monde s'en est allé
et a disparu quelque part dans le parc."
"... tout a commencé à murmurer autour d'eux, à chuchoter, à susurrer.
En glissant la main sous la mousse, sous les pierres volcaniques, ils
ont découverts que la terre était chaude. Leurs paumes percevaient des
vibrations délicates, un mouvement lointain, un souffle.. Pas de doute,
la terre était vivante."
J.
M. G. Le Clézio
Celui qui n’avait jamais vu la mer
2008
"À mesure qu’il s’approchait, le bruit des vagues grandissait,
emplissait tout comme un sifflement de vapeur.
C’était un bruit très doux et très lent, puis violent et inquiétant
comme les trains sur les ponts de fer, ou bien qui fuyait en arrière
comme l’eau des fleuves."
"Il s’assit sur un rocher plat, devant un lac d’eau de mer. Il écouta
le bruit de la lumière qui bondissait sur les roches, tous les
craquements secs, les claquements, les chuintements, et, près de ses
oreilles, le murmure aigu pareil au chant des abeilles."
Hervé
Le Tellier
Toutes les familles heureuses
2017
"Qu’aimerai-je, moi, entendre à l’ultime moment de ma vie ? À y
réfléchir, peut-être pas une musique. La voix d’un ami, de mon fils,
d’une femme aimée. Je ne sais pas. Je tendrai probablement l’oreille,
pour un dernier son au contraire inattendu, un son fait de hasard et
d’incongru, un son qui appartiendrait encore à la vie, le rire d’une
infirmière dans la salle de garde, un coup de klaxon impatient dans la
rue, ou le simple claquement de talons sur le carrelage. Peut-être y
a-t-il encore un peu de bruit avant que les dernières cellules ne
s’éteignent à jamais. Je prendrai ce qu’il y aura."
Liens
- The Tuning of the World (The Soundscape) (1977) by
Raymond Murray Schafer
Le
Paysage sonore Le monde comme musique - Traduction (1979) de Sylvette Gleize
- Paysage sonore
fr Soundscape
en
- Écoute du paysage et esthétique écosophique par
Roberto Barbanti
- Les sonorités de
Maigret / The Sounds of Maigret par / by Murielle Wenger
- Bibliothèque électronique du Québec - Wikisource - Internet Archive - Project Gutenberg - Ebooks gratuits - Gallica
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